Brésil : huit ans d’inéligibilité pour l’ancien président Jair Bolsonaro

Après sa défaite au scrutin 2022 et son séjour de trois mois aux États-unis, le Donald Trump sud-américain vient d’être jugé pour « abus de pouvoir ». Le Tribunal supérieur électoral a tranché net sur la divulgation de « fausses informations » concernant le système de vote électronique.

Photo :Veja

Depuis les États-unis, où il s’était réfugié avec sa famille deux jours avant l’investiture, le 1 janvier, de son successeur Luis Inácio Lula da SilvaJair Bolsonaro avait affirmé que se retirer de la politique n’était pas envisageable. À la suite de l’annonce de sa condamnation, le vendredi 30 juin, ses avocats ont fait savoir qu’ils feraient appel au chef d’inculpation « abus de pouvoir politique et usage indu des moyens de communication ». Cette lourde charge judiciaire trouve son origine en juillet 2022, lors d’une réunion du président Bolsonaro avec des diplomates dans la résidence présidentielle de l’Alborada. 

À cette occasion, l’ancien chef de l’État nostalgique de la dictature militaire (1964-1985) avait affirmé son intention de « corriger des failles » du système de voix électroniques avec la « participation des forces armées ». Retransmis sur les réseaux sociaux et la télévision publique, ce propos mettant en cause la fiabilité du scrutin (sans en fournir la moindre preuve) a émaillé la campagne présidentielle du candidat d’extrême droite, faisant monter au fil des mois la pression psychologique de ses plus fervents partisans. De ce fait, le 8 janvier, une semaine après l’entrée en fonction de Lula da Silva, plusieurs milliers se sont déchaînés pour dénoncer une fraude électorale, notamment à Brasilia, où ils ont saccagé le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême de justice. La capitale du pays s’était ainsi transformée en la sœur jumelle de Washington lorsque, deux ans auparavant presque jour par jour, des émeutiers pro-Donald Trump prirent d’assaut le Capitole, cœur du gouvernement des États-Unis.

 « Je regrette ce que certaines personnes inconséquentes ont fait le 8 janvier », a dit laconiquement Bolsonaro, le 31 janvier 2023. Cela s’est passé à Orlando, en Floride, devant les centaines de participants à la réunion de la « Yes Brazil USA », une association d’expatriés brésiliens aux États-Unis. Or cinq mois plus tard le parquet brésilien décidait la condamnation de l’ex-militaire parachutiste (cinq juges sur sept ont voté pour). En conséquence, en attendant la fin du procès, car il a le droit de faire appel, Jair Bolsonaro se trouve à l’heure actuelle potentiellement privé d’un retour politique lors de l’élection présidentielle de 2026. « Je n’ai commis aucun crime en me réunissant avec des ambassadeurs. M’enlever des droits politiques sous l’accusation d’abus de pouvoir politique est incompréhensible », avait-il déclaré vingt-quatre heures avant la diffusion de la décision du Tribunal électoral supérieur. Ce qui pour beaucoup représente « un coup de tonnerre dans la politique brésilienne », aura en effet des conséquences considérables pour Bolsonaro lui-même, pour l’avenir du Brésil, mais surtout pour les partis de droite conservatrice et d’extrême droite puisque cette condamnation les oblige à trouver un consensus sur l’élection de son successeur en vue du prochain scrutin. 

Ce n’est que le début d’une longue liste d’ennuis judiciaires pour le malheureux candidat à sa réélection. En effet, à 68 ans le leader d’extrême droite est littéralement cerné par les enquêtes : si le parquet vient de le condamner pour « abus de pouvoir et usage indu des moyens de communication », une quinzaine d’autres enquêtes l’attendent au Tribunal supérieur électoral et cinq à la Cour suprême, dont quatre sur des délits présumés au cours de son mandat (2019-2022). Déjà en 2020, une enquête portait sur l’ingérence du président auprès de la police fédérale ayant l’intention de protéger des membres de son entourage soupçonnés de corruption. Mais la faute le plus grave est sans doute son rôle présumé, en tant qu’instigateur, dans les attaques contre les sièges du pouvoir démocratique, le 8 janvier, considérées comme une tentative de coup d’État. 

La semaine dernière, mercredi 12 juillet, M. Bolsonaro a été auditionné pour la quatrième fois depuis son retour des États-Unis (le 30 mars). Son domicile avait été perquisitionné le 3 mai, à la recherche de documents concernant sa gestion pendant la pandémie et la falsification présumée de certificats de vaccination, « utilisés pour contourner les restrictions sanitaires imposées pour les pouvoirs publics au Brésil et aux États-Unis », d’après un communiqué de la police fédérale. Selon les estimations des avocats, comme Carla Junqueira, docteure en droit à l’Université de São Paulo, la peine pour l’ensemble des délits que l’ancien président aurait commis correspond à quatre décennies de prison ferme. Dans ce contexte, la récente condamnation à huit ans d’inéligibilité peut redonner une couche de vernis à la jeune démocratie brésilienne réinstaurée en 1985. Par conséquent, si l’on tient compte de son penchant autoritaire et son regard bienveillant sur la dictature militaire, beaucoup de ses compatriotes qui gardent encore les stigmates de cette époque noire de répression et torture seraient soulagés de voir l’ancien capitaine de l’armée derrière les barreaux car, comme disait Publilius Syrus, « celui à qui l’on permet plus qu’il n’est juste, veut plus qu’il ne lui est permis ».

Eduardo UGOLINI