Vendredi 7 juillet 2023, Haïti était en « journée de deuil ». Le 5, le Secrétariat général de la Primature informait la population par voie de communiqué les raisons de cette décision officielle. « Le 58e président de la République d’Haïti Jovenel Moïse a été assassiné dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 à Pèlerin 5, en sa résidence privée par un commando composé notamment de mercenaires colombiens. (…)
Photo : Presse Haïti
Pour marquer ces deux ans, une journée de deuil national est déclarée sur l’ensemble du territoire (…) Le drapeau national sera mis en berne (…) les discothèques et autres établissements assimilés resteront fermés ». Samedi 8, le lendemain de cette commémoration, les Nations Unies informaient de la visite à Port-au-Prince, « du chef de l’ONU. Le Secrétaire général, Antonio Guterres a, selon le communiqué d’ONU Info, exhorté le Conseil de sécurité à autoriser le déploiement immédiat d’une force de sécurité internationale robuste qui viendrait assister la police nationale d’Haïti dans sa lutte contre les gangs. » (…) Chaque jour compte », a-t-il déclaré, « si nous n’agissons pas maintenant, l’instabilité et la violence auront un impact durable sur des générations d’Haïtiens. » Effectivement la situation a dépassé le seuil de la gravité. L’État s’est liquéfié. Les responsables intellectuels de l’assassinat du président Jovenel courent toujours. Non identifiés, ils bénéficient d’une impunité de fait. Elle encourage les rumeurs et les mises en cause, au risque de polariser les antagonismes politiques et personnels.
Le chef d’État en exercice, Ariel Henry, n’a pas de légitimité démocratique. Nommé Premier ministre le 4 juillet 2021 par Jovenel Moïse, le 7, il n’avait pas encore pris ses fonctions. Il a finalement été investi le 20 juillet, soit seize jours après sa nomination, et treize jours après la disparition tragique du président Jovenel qui l’avait désigné 23e chef du gouvernement. Le sortant, et Premier ministre par intérim, Claude Joseph, lui a disputé le droit à gouverner. Le 14 septembre suivant, le chef du parquet de Port-au-Prince, a demandé au juge instructeur de l’assassinat du président, d’inculper comme mêlé au crime, Ariel Henry. Le 1er janvier 2022 le Premier ministre échappait à un attentat. Ses bureaux comme ceux d’autres institutions, selon l’ONG, Fondasyon Je Klere, sont occupés par des « bandits ». Le 7 février 2022, terme du mandat de Jovenel Moïse, aurait dû mettre un point final à l’intérim exercé par Ariel Henry. Mais l’Assemblée nationale, faute d’élections en temps utile, avait parallèlement cessé d’exister le 13 janvier 2020.
Et les Haïtiens dans ce « cric crac » ? L’assassinat de Jovenel Moïse a aigri un peu plus les querelles entre partis et mouvements politiques. Les réunions du Haut Conseil de la Transition ont été nombreuses, toutes soldées par l’annonce d’un prochain rendez-vous, faute de compromis. Cette difficulté persistante à définir un cap collectif, signale peut-être, une déconnection avec la rue et les gens. Les élections d’un président, de députés et de sénateurs, la condamnation des assassins de Jovenel Moïse, la participation à une vie partisane, ne sont manifestement pas leur préoccupation dominante.
La photo du quotidien a été résumée de la façon suivante par Antonio Guterres. « Un Haïtien sur deux vit dans l’extrême pauvreté (…) Une personne sur deux est confrontée à la faim et n’a pas d’accès régulier à l’eau potable. » De janvier à mars 2023, selon le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (Ohchr), 531 personnes ont été tuées et 277 ont été enlevées. « Tous les droits humains sont bafoués (…) Les gangs continuent de faire régner la terreur notamment dans la capitale, Port-au-Prince devenue une zone de non-droit. Les femmes et les jeunes filles continuent d’être victimes de viols. » Le choléra est, de source officielle, latent depuis octobre 2022.
La « communauté internationale », de façon régulière et répétitive multiplie les engagements et les bonnes paroles. Mais, toujours selon l’ONU, « le plan d’intervention humanitaire, qui prévoit 720 millions de dollars, (…) n’est financé qu’à 23 %. Le Secrétaire général a rappelé la nécessité « d’approches nouvelles et intégrées alliant enjeux sécuritaires et politiques, État de droit et questions humanitaires et de développement .» Pourtant, chaque crise répète le même scénario, une intervention militaire étrangère. Le président Ariel Henry la demande depuis octobre 2022, à l’ONU, aux États-Unis, au Canada, à l’OEA, au CARICOM,(Communauté des Caraïbes), au Brésil, au Rwanda, à la France, à la Francophonie et à l’Union européenne. Mettre les gangs sous Cocotte-minute militaire apporterait probablement un répit aux Haïtiens et aux Haïtiennes, et imposerait par les armes la légitimité du Premier ministre.
L’ONU, les États-Unis, le Brésil et la France en conviennent. Ils ont dans le passé privilégié le recours aux armes. Il est plus facile à mettre en œuvre et moins coûteux qu’un soutien à la reconstitution d’un État de droit. Mais les casques bleus partis, les plaies de Haïti, très vite retrouvent leurs dynamiques létales. Les pays « amis » ont pourtant donné en juin leur feu vert à la reprise d’un scénario militarisé au final bien connu. Les États-Unis souhaitent en charger par délégation des gouvernements partenaires. Le secrétaire d’État, Antony Blinken en a donné l’assurance le 5 juillet à Ariel Henry. Washington maîtrise bien la situation. Les directrices, de nationalité nord-américaine, du PAM (Programme alimentaire mondial) et de l’UNICEF, ont visité Port-au-Prince le 20 juin. Le Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti est dirigé par une diplomate des États-Unis.
Le 5 juillet 2023, en marge de la 45e réunion annuelle des chefs d’État et de gouvernement du Caricom, Paul Kagame a déclaré que son pays, « le Rwanda (était) prêt à contribuer à la constitution de la force multinationale spécialisée sollicitée par Haïti, dès que les conditions seront réunies. ».La Jamaïque a fait une déclaration similaire. Morale de l’histoire, proposée par le CETRI, (Centre tricontinental), « les données de l’équation sont relativement simples, le statu quo ou le changement. (…) La situation continuera à empirer si rien (…) ne change, (…) prix (imposé) par l’international et l’oligarchie (locale) payé par les Haïtiens et les Haïtiennes[1] ».
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] Frédéric Thomas, « Haïti, État des gangs dans un pays sans État », Louvain, CETRI, 7 juillet 2022.