Africains et Sud-américains ont multiplié leurs rendez-vous à l’horizontale depuis quelques mois. Sans donc passer par Miami, Washington, Paris ou Bruxelles. « Notre Nord est le Sud », semble être leur mot d’ordre. Cette phrase, déconcertante en première lecture, sous-titre le dessin « renversant » du peintre uruguayen Joaquín Torres García. Daté de 1941, il propose un bouleversement prémonitoire des repères géographiques et géopolitiques du monde.
Photo : Archivos uruguayos
La nouvelle guerre européenne et « américaine » a provoqué une montée d’adrénaline en Afrique et en Amérique latine. De vieilles rancœurs, venues des époques coloniales et des dominations anglo-saxonnes ultérieures, ont accéléré leur mûrissement. En Afrique de l’Ouest, la France est de plus en plus contestée. Tandis que l’Espagne est la cible de flèches convergentes, venues des quatre coins d’Amérique latine. L’occasion, la guerre d’Ukraine, favoriserait-elle « le marronage » ?
Tout le donne à penser au vu du calendrier inhabituel des visites officielles croisées, d’Africains et Sud-américains. Deux des Sud-américains concernés, Brésil et Colombie, ont des populations d’origine africaines importantes. La dimension culturelle de ces échanges avec le « continent noir » doit de toute évidence être prise en compte. Le troisième, le Venezuela, relève d’une autre intentionnalité. Le régime de Caracas a un côté dissident et anti-occidental qui prime sur toute autre considération, culturelle ou politique.
Le Brésil a, cela dit, un passé diplomatique en Afrique. Il est vrai en dents de scie. Ce passé a été réaffirmé par le président actuel Luiz Inacio Lula da Silva. D’autres régions du monde accaparent le chef d’État. Mais il n’a cessé, directement ou par la voix de son ministre des Affaires étrangères, de réaffirmer le cap africain du Brésil. Un certain nombre de chefs d’État et de gouvernements africains ont assisté le 1er janvier 2023 à sa prise de fonction. Les lusophones étaient tous là. Mais aussi le Premier ministre du Mali et de l’Afrique du sud. À Brasilia, le 5 avril, s’est tenue la VIIème réunion de la Commission mixte paritaire avec l’Angola, partenaire historique. De nombreux accords économiques ont été paraphés, ainsi qu’un engagement concernant la défense. Le Brésil est membre avec divers pays africains d’un certain nombre d’institutions internationales. En marge du G7 d’Hiroshima, le 21 mai, Lula, a rencontré le président en exercice de l’Union africaine, Azali Assoumani, chef d’État des Comores. Mauro Vieira, ministre des Relations extérieures, a participé au Cap Vert, le 18 avril, à une rencontre des riverains de l’Atlantique sud, la ZOPACAS (ou Zone de paix et de coopération de l’Atlantique sud). Le ministre brésilien des Relations extérieures, s’est rendu au Cap le 1er juin, pour rencontrer ses homologues du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud). En août Lula se rend en Afrique du sud pour participer à un Sommet des BRICS. Plusieurs chefs d’État souhaiteraient l’inviter à visiter leurs pays respectifs à l’issue du sommet, le Congo, le Nigéria, São Tomé et Principe. Assurant la présidence tournante de l’organisation, il va recevoir en 2024 les Africains du sud. Afin de mieux gérer cet activisme annoncé, le ministre Mauro Vieira a organisé le 25 mai un séminaire intitulé « Brésil-Afrique : relancer les partenariats ». Ce séminaire s’est tenu en présence de l’ambassadeur du Cameroun, doyen du corps diplomatique africain représenté au Brésil.
La Colombie a depuis quelques mois une vice-présidente, afro-descendante, Francia Marques. Cette communauté, a été longtemps marginalisée. Tout comme le continent africain, ignoré durant des décennies par la Colombie. Les derniers contacts de haut niveau remontent loin, à 1997, le président Ernesto Samper ayant alors visité le Sénégal et l’Afrique du sud. Dans un contexte multilatéral, la Colombie avait été représentée à la Conférence intercontinentale d’Abuja, organisée en 2006, conjointement par le Brésil et le Nigéria. L’Afrique a été réintroduite dans l’agenda diplomatique sur instruction du nouveau chef d’État, Gustavo Petro. Cette initiative a été couplée sur le combat local contre la discrimination raciale. Un plan dit « Stratégie Afrique 2022-2026 » a été mis sur pied, en octobre de l’année dernière. Ce document a été placé sous la responsabilité de la vice-présidente. Il est partie prenante du Plan national de développement voulu par le président, approuvé par le Congrès. Le 3 mai 2023 au Palacio de San Carlos, siège du ministère des Affaires étrangères, les ambassadeurs colombiens en Afrique ont pris connaissance du Plan avec son volet Afrique. Conclusion logique de cet effort conceptuel, la vice-présidente a visité du 10 au 18 mai 2023, le Gabon, l’Afrique du sud, le Kenya et l’Éthiopie. Huit accords de coopération ont été signés avec l’Afrique du sud, sept avec le Kenya et deux avec l’Éthiopie. L’Afrique du sud pourrait être l’un des États garants d’un accord de paix entre Bogota et la guérilla ELN. Le vice-président Paul Mashatile a confirmé une visite de travail en Colombie, tout comme son homologue kenyan, Rigathi Gachagua. La Colombie a annoncé l’ouverture d’une ambassade à Addis Abeba, siège par ailleurs de l’Union africaine.
Le Venezuela, pays ciblé par les sanctions croisées des États-Unis et de l’Union européenne va-t-il exercer un attrait naturel sur les pays africains qui s’éloignent de la France et des Occidentaux ? Difficile d’en juger aujourd’hui. Signe avant coureur peut-être, le premier ministre du Burkina Faso, Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambela, a effectué du 8 au 14 mai 2023 une visite de travail à Caracas. « Cette visite », est-il écrit dans un communiqué officiel burkinabé « s’inscrit dans la dynamique engagée par les autorités de transition en matière de diversification des partenaires, pour lutter contre l’insécurité mais aussi donner au pays une nouvelle dynamique économique ». On notera malgré tout que cette visite n’a rien d’insolite, le Burkina ayant depuis 2013 une coopération contractuelle avec le Venezuela. Et une autre avec Cuba, ouverte par Thomas Sankara en 1986, et qui a résisté jusqu’ici à tous les aléas politiques, à Ouagadougou comme à La Havane.
La « moralité », peut-être, mais les enseignements sans doute, de ces dérives continentales convergentes, relèvent d’un « à suivre », incontournable, pour tous les curieux de la tectonique géopolitique du monde..
Jean-Jacques KOURLIANDSKY