C’est le candidat Santiago Peña, « poulain » de l’ancien président et homme le plus puissant du pays accusé de corruption Horacio Cartes, qui a remporté les dernières élections présidentielles paraguayennes ce dimanche 30 avril 2023. Peña est membre du parti conservateur COLORADO, qui est au pouvoir depuis 1947.
Photo : Primicias
Les sondages annonçaient Santiago Peña gagnant, mais laissaient entendre que la course à la présidentielle allait être serrée cette année, entre Santiago Peña et son concurrent Efraín Alegre, du Parti Liberal Radical Authentique, centriste. Dans la presse, on imaginait un premier président « de gauche », ou tout du moins moins de droite pour le Paraguay. Cela n’a pas été le cas. L’ancien ministre des Finances a remporté l’élection avec plus de 43 % des suffrages. Alegre lui, en récolte 27,5. Un troisième candidat, se présentant comme antisystème, Parguayo Cubas, atteint les 23 %. À eux deux, les deux candidats d’opposition récoltent donc plus de voix que Peña. Le mode de scrutin paraguayen, à un tour, a donc facilité la tâche a Peña.
Le parti Colorado, que l’on retrouve aussi sous le nom de « Association nationale républicaine », de droite conservatrice, est au pouvoir depuis 1947. C’était le parti du dictateur Alfredo Stroessner de 1954 à 1989. C’est ce même parti qui en 1989 décide d’épouser les voies de la « transition démocratique ». Une seule erreur de parcours pour Colorado : les élections présidentielles de 2008. Cette année-là, les Paraguayens élisent Fernando Lugo, un prêtre catholique de centre gauche. Il a été destitué en 2012, avant la fin de son mandat. Colorado est le parti des élites, mais garde une dimension populiste. Dans le cadre des dernières élections, ce populisme s’est illustré sans se cacher : quelques jours avant les élections, le gouvernement a annoncé une baisse des prix de l’électricité pour des millions de personnes, et son candidat a eu recours aux traditionnelles promesses de campagnes, offrant du travail public pour obtenir des votes.
En termes de corruption, Colorado n’est pas tout blanc. L’ancien président Horacio Cartes (2013 – 2018) de la république paraguayenne, homme le plus riche du pays, propriétaire du groupe Banco Basa qui représenterait 2 % du PIB national, est dans la ligne de mire des États-Unis pour ce fait d’accusation. Il serait même « significativement corrompu », d’après L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor des États-Unis. C’est sans doute ce pourquoi Efraín Alegre a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, sans succès. Fraîchement élu, le protégé de Cartes promet toutefois de « lutter avec succès contre la pauvreté, la corruption, l’impunité ». Peña n’a d’ailleurs jamais hésité à défendre son mentor : « Nous parlons d’un ancien président qui a fait de la transparence et de la bonne gestion une devise importante, ce dont je suis tout à fait convaincu. »
Qui est Santiago Peña ?
À 44 ans, Santiago Peña est « un technocrate pour la continuité », titre le quotidien espagnol El País. Ministre des Finances sous le gouvernement de Horacio Cartes a tout juste 37 ans, il a été formé aux États-Unis, à Columbia, et a travaillé au FMI. De retour au pays, il a dirigé la banque centrale paraguayenne avant d’être appelé au ministère des Finances. À ce moment-là, Peña ne fait même pas parti de Colorado, mais milite pour le Parti Liberal Radical Anthentique. Mais le président l’a choisi. Comme l’explique José Duarte Penayo pour la BBC « Peña nait de l’échec du projet réélectioniste de Cartes ». En effet, l’ancien président avait tenté, en 2017, de modifier la constitution paraguayenne, qui n’autorise qu’un seul mandat non renouvelable pour le président de la République, sans succès. Cette année, Peña participe aux élections internes du parti Colorado, qu’il a fini par rejoindre, mais perd face à Mario Abdo Benitez, l’actuel président sortant. Peña embrasse le coté conservateur de Colorado, se prononçant contre l’avortement et le mariage pour tous. Toutefois, sa proximité avec Cartes laisse penser à certain qu’il ne gouvernera pas de façon autonome, sorte de pantin de l’ancien président.
Malgré les scandales de corruption et le fait que ceux-ci aient entravé le financement de la campagne, le parti Colorado remporte une fois de plus les élections au Paraguay. Ce petit pays enclavé, de 6 millions d’habitants, n’a jamais connu d’alternance politique majeure. « Le Parti Colorado est un parti de masse, enraciné dans tout le pays, qui s’est transformé en l’identité du Paraguay. Être Paraguayen, c’est être Colorado », analyse José Carlos Rodriguez, sociologue et chercheur au sein de l’institut Investigación por el desarrollo (« recherche pour le développement ») pour Le Monde.
Marie Bessenay