Le procès du général Ríos Montt : double coup de théâtre

Rappel.  De 1954 à 1985, le Guatemala a vécu sous la coupe de dictateurs militaires qui ont fait 200.000 morts dont 45.000 disparus. Le plus féroce d’entre eux, le général Efrain Ríos Montt (1982-83), et son chef du renseignement militaire à cette époque, le général  Rodriguez Sánchez, sont  actuellement jugés  pour génocide contre le peuple Maya Ixil.

 Un procès historique. Bien que les associations AJR (Association pour la justice et la réconciliation) et CALDH ( Centre d’action légale pour les Droits Humains) aient, dès 2001, déposé devant la justice une plainte contre Rios Montt, ce n’est qu’en juin 2011 que la juge Carol Flores ordonne la détention des deux généraux. Mais elle est récusée par la défense de Rodríguez et la procédure passe dans les mains de la juge Jazmin Barrios. Le 19 mars 2013, s’ouvre enfin ce procès qualifié d’historique : un dictateur est accusé de crimes contre l’humanité envers la population civile et de génocide contre un peuple indigène. Pendant 12 jours, les témoins Ixil survivants des massacres racontent les tortures, les viols, les assassinats, les enfants jetés vivants à la rivière, la destruction des villages par le feu… Plus de 600 villages furent ainsi rasés par les militaires.

 Premier coup de théâtre. Le président guatémaltèque, Otto Pérez Molina intervient alors brutalement dans les débats le 16 avril en affirmant que «ce type de procès est un danger pour la paix au Guatemala » ! A partir de ce moment, la roue de la justice s’arrête de tourner… Deux jours plus tard, à la surprise générale, la juge Carol Flores, récusée en 2011, déclare que la Cour Constitutionnelle (CC) lui a ordonné d’inclure un recours dans les débats, qu’il falait donc recommencer le procès et que témoignages, expertises et plaidoyers, tout était annulé ! La juge Barrios signale qu’elle « a déjà inclus le recours dans le dossier et qu’il serait illégal de tout arrêter maintenant ». Mais elle suspend la procédure et demande à la Cour suprême et à la CC de trancher. Celle-ci déclare que le dossier doit être rendu à la juge Flores mais ne dit ni quand le procès pourra reprendre ni à partir de quel moment de la procédure déjà engagée.

 Deuxième coup de théâtre. Les avocats des familles ixiles sont persuadés que l’annulation de la procédure est le résultat de pressions sur les juges venues du plus haut niveau de l’Etat. Car un témoin, l’ancien mécanicien militaire Leonardo Reyes, déclare par vidéo, sa vie ayant été menacée, que « les massacres des Ixils étaient coordonnés par un major Tito Arias ». Or le major Arias n’est autre que Otto Pérez Molina, président du Guatemala ! Cette accusation est confirmée par un journaliste étatsunien, Allan Nairn qui devait témoigner au procès le 15 avril mais en a été interdit et pour cause : il voulait projeter des extraits du film « Skoop ! » réalisé en 1983 par le cinéaste Mikael Wahlforss pour la télévision scandinave où l’on voyait Nairn interviewer un jeune Pérez Molina donnant des ordres à des militaires dans un village ravagé. Selon Nairn, il existe un accord secret entre les élites et le ministère de la justice : d’accord pour sacrifier Rios Montt mais cela doit s’arrêter là, ce sera le seul militaire jugé. Les témoignages contre Pérez Molina changent la donne. Du coup, des juges et des avocats sont menacés de mort et Nairn est interdit de parole. Il raconte ces dessous de l’impunité en détail sur son site (1). Les témoins sont terrifiés : ils craignent des représailles sanglantes si le procès était annulé. Une possibilité tout à fait réelle dans ce pays où les défenseurs des droits humains sont systématiquement assassinés.

 Jac FORTON

 Lire l’article précédent de Jac Forton sur le procès Ríos Montt.

(1) Son article a été publié en anglais  le vendredi 19 avril sur le site  www.allannairn.org