Les élections présidentielles qui se tiendront le 30 avril 2023 au Paraguay pourraient déterminer si Taïwan conserve son seul allié diplomatique du cône Sud. Bien que les deux gouvernements entretiennent des relations diplomatiques depuis 1957, le principal candidat de l’opposition Efraín Alegre a indiqué qu’il pourrait revoir cette relation et se tourner vers la Chine.
Photo : Agences
Depuis l’arrivée au pouvoir de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen en 2016, Pékin s’est débarrassé de neuf alliés de Taïwan, dont le dernier en date est le Honduras, en mars dernier. Plusieurs se trouvent en Amérique latine, une région qui a longtemps été un territoire amical pour Taipei mais qui a vu la Chine faire des percées diplomatiques. Les relations entre le Paraguay et Taïwan sont restées positives sous la présidence du Paraguayen Mario Abdo Benítez, qui quittera ses fonctions en août après un mandat unique de cinq ans.
Le vote du dimanche 30 avril prochain déterminera si cette situation perdure. Les deux principaux candidats sont l’ancien ministre des Finances Santiago Peña , issu du parti Colorado de centre-droit au pouvoir, et Efraín Alegre, ancien ministre des Travaux publics, du parti centriste libéral radical authentique (PLRA). Les sondages montrent que la course est serrée. « Santiago Peña est actuellement le candidat favori, mais l’élection est encore ouverte et Efraín Alegre pourrait l’emporter », a déclaré le sociologue paraguayen Camilo Soares à Al Jazeera.
Concernant Taïwan, le candidat Peña a déclaré que la « relation historique » du Paraguay avec Taïwan serait une priorité. Une relation fondée sur « des principes et des valeurs démocratiques est bien plus importante » que la possibilité d’accroître les exportations en établissant des relations avec la Chine, a-t-il déclaré aux médias brésiliens en février. Il explique aussi dans une interview accordée à CNN en janvier que le « triangle stratégique » des alliés du Paraguay, à savoir Taipei, Jérusalem et Washington, constituait un outil important pour le développement.
Le candidat Alegre, quant à lui, a déclaré qu’il pourrait rompre les liens avec Taipei en faveur de Pékin en cas de victoire. Lors d’une interview accordée en mars près de la capitale, Asuncion, il a déclaré au média japonais anglophone Nikkei qu’il avait des « opinions critiques » sur les relations avec Taïwan et que « nous devons considérer les opportunités que la Chine pourrait nous offrir ». Il précise que l’absence de relations formelles avec la Chine fait perdre au pays non seulement des exportations de produits tels que le bœuf et le soja, mais aussi des investissements d’entreprises chinoises. Ce phénomène diplomatique, qui plane sur les pays d’Amérique latine, les amenant à apporter leur soutien à la chine pour des raisons économiques, a un nom : les politologues Tom Long et Francisco Urdinez l’ont appelé le « Taïwan cost » (« le coût de Taiwan »), c’est-à-dire la perte des opportunités économiques offertes par la Chine.
Après la perte du Honduras comme allié, la perspective de perdre le Paraguay inquiète TaÏwan. La présidente s’est d’ailleurs rendue ce mois-ci au Guatemala et au Belize, deux des derniers soutiens de Taïwan en Amérique latine en dehors du Paraguay, lors de son premier voyage à l’étranger depuis environ quatre ans, peu de temps après avoir appris que le Honduras s’était rallié à la Chine. Le Paraguay et Taïwan ont officialisé leurs relations diplomatiques pour la première fois en 1957. Depuis lors, le soutien à Taïwan et l’opposition à la « Chine communiste » sont des éléments essentiels de la politique étrangère paraguayenne. Taïwan a investi des millions de dollars au Paraguay dans des projets tels que les systèmes de transmission à haute tension et la production de poisson. Taipei a même créé une prestigieuse université d’ingénierie à Asunción.
Derrières les enjeux apparents de cette élection et de cette relation taÏwano-paraguayenne, se cachent d’autres nœuds politiques : Santiago Peña, le candidat du parti conservateur, fait l’objet d’accusations de corruption persistantes. Les États-Unis ont récemment sanctionné le mentor politique de Peña, l’ancien président Horacio Cartes, pour avoir « effectué des paiements en espèces à des fonctionnaires en échange de leur loyauté et de leur soutien ». Toujours selon Soares, le sociologue s’étant entretenu avec Al Jazeera, l’allégeance de Peña à Taïwan est probablement un moyen d’obtenir le soutien des États-Unis. Mais si les États-Unis choisissent de sanctionner Peña pour des allégations de corruption, Soares pense que le candidat conservateur pourrait se tourner vers la Chine. « Les États-Unis savent que s’ils sanctionnent Santiago Peña et qu’il gagne les élections, les Chinois sont ici à Buenos Aires et à São Paulo, assis tranquillement attendant d’offrir à Santiago Peña tout leur soutien », explique-t-il.
Toutefois comme l’explique la politologue Julieta Heduvan, toujours pour Al Jazeera, pour les citoyens paraguayen, la politique extérieure de leur pays concernant la Chine et Taiwan ne sera pas un déterminant principal de leur vote. « Je ne pense pas que le soutien à Taïwan soit une question aussi décisive pour la population », a-t-elle déclaré, en ajoutant : « Mais les élites politiques sont très impliquées dans la question de Taïwan, le message de Peña s’adresse peut-être davantage à ces élites qu’à l’ensemble de la population. »
D’après Nikkei Asia et Al Jazeera