Antônio Xerxenesky est né à Porto Alegre en 1984. Après des études littéraires, autour, entre autres sujets, de Enrique Vila Matas et de Roberto Bolaño, il s’intéresse aussi au cinéma. Il est chroniqueur journaliste et romancier. Voici la chronique de son dernier roman, Une tristesse infinie, rédigée par Christian Roinat pour son blog, America Nostra.
Photo : Ed. Asphalte
Peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, Nicolas, un jeune psychanalyste français qui a séjourné à Vichy avec sa femme Anna pendant les années « noires » de la ville, vient d’accepter un poste près de Lausanne dans une clinique internationale de pointe. Il s’y occupe essentiellement de personnes anglophones qui souffrent de divers traumatismes. Lui aussi a ses failles, sa personne et aussi son couple.
Bien que, vue de l’extérieur, sa vie de tous les jours puisse sembler tout à fait « normale », routinière même, Nicolas semble vivre sur un fil. Bon médecin, qui écoute, respecte, comprend, il sent (c’est aussi son métier) des fissures en lui. Hypocondriaque, il l’est c’est évident, le pire est ce qui est caché, dans la tête plus que dans le corps. Peut-on savoir scientifiquement ce que sont les rapports profonds entre le physique et le mental ?
Anna, de son côté, fait partie, en tant que journaliste scientifique, de l’équipe qui met en place à Genève le futur CERN et c’est l’atome qui la tient préoccupée. On est peu d’années après Hiroshima et Nagasaki, elle est prise, comme une patiente de Nicolas, par la crainte de ne pouvoir échapper à une responsabilité cruelle si les choses tournent mal, comme ont pu l’être les scientifiques dont les travaux purement scientifiques ont indirectement débouché sur le mal absolu. Entre Nicolas et Anna le malaise est récupérable, pense-t-il, mais il est bien là, discret et tenace et surtout, chacun est pris, prisonnier même, de ses activités professionnelles.
Antônio Xerxenesky a construit une architecture qui donne l’équilibre à une impressionnante quantité d’idées comme la normalité, la folie, la souffrance, la responsabilité même indirecte, la science et ses possible dérives, la philosophie appliquée à la réalité, l’art, la psychologie en relation avec l’art brut. Tout cela s’applique tout naturellement au quotidien des protagonistes, et forcément aussi au nôtre. Tout cela nous est accessible, terriblement accessible : la mélancolie chronique du médecin pourtant armé contre elle pourrait-elle fondre sur nous ? Sous nos yeux le chaos doucement s’organise, s’apaise, il y a un ordre dans la nature, même Einstein s’est posé la question, et on n’a pas besoin d’avoir l’intelligence d’Einstein pour pouvoir partager les doutes de Nicolas ou de ses patients, la lecture se fait d’un trait, l’intérêt ne diminue jamais. Par quel prodige Antônio Xerxenesky, qui nous avait beaucoup amusés avec ses premiers romans débordants de fantaisie, parvient-il à nous entraîner dans un tel foisonnement d’idées fondamentales sous la forme d’un thriller dont la psychologie humaine est le centre ? Une tristesse infinie est un de ces romans dont on ralentit la lecture vers la fin pour ne pas arriver trop vite au dénouement, un de ces romans qu’on ne pourra oublier, cela ne fait aucun doute.
Christian ROINAT
Une tristesse infinie d’Antônio Werxenesky, traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro, éd. Asphalte, 272 p., 22 €.