Le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva entend revenir sur la scène internationale après le mandat de Jaïr Bolsonaro (2018-2022) qui avait isolé cette grande puissance régionale et manifestement réaligné sa politique internationale sur celle des États-Unis. Sur une scène mondiale secouée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine, les antagonismes entre les grandes puissances s‘aiguisent et l’Amérique latine redevient, pour toutes, un enjeu. Dans ce “grand jeu” le Brésil est une pièce importante.
Photo : Agences
La scène internationale que le Président Lula retrouve en 2023, entamant un troisième mandat, n’est pas celle qu’il a quittée à la fin de son second mandat, en 2011. Elle est bouleversée par trois évènements majeurs : trois ans de pandémie de la COVID19 entre 2020 et 2022, la guerre sur le sol ukrainien depuis février 2022, la compétition multidimensionnelle Chine/ USA qui devient non plus seulement commerciale mais aussi scientifique, technologique, militaire et idéologique. Dans les prochaines années, pour “créer un ordre mondial nouveau”, la Chine entend conquérir le leadership mondial sur tous les plans et, depuis plus d’une décennie, s’en donne les moyens en Amérique latine, avec le Brésil comme partenaire stratégique mondial.
La pandémie du COVID parait aujourd’hui dépassée mais il convient de ne pas oublier le revirement étonnant de la politique chinoise en la matière qui est passée du “zéro Covid” au “tout est ouvert” avec un bond de la mortalité et une situation économique dégradée. Quant au Brésil, il aurait passé les 700 000 morts directement liés au Covid-19, ce qui en fait le deuxième pays le plus endeuillé au monde, selon le ministère brésilien de la Santé. Récession et accroissement de la pauvreté ont frappé l’Amérique latine et la diplomatie chinoise du vaccin a été déployée dans l’objectif de contrer les États-Unis.
L’Ukraine et la politique étrangère du Brésil
Le président brésilien se rend à Pékin, le 13 avril 2023, à l’invitation de la Chine, pour aborder avec son homologue Xi Jinping la situation en Ukraine, entre autres questions. Depuis son retour au palais présidentiel du Penalto, dans des déclarations répétées, le Président Lula établit une symétrie entre la Russie et l’Ukraine : ni Poutine ni Zelensky ne peuvent avoir “tout ce qu’ils veulent”. Cette déclaration est suivie de l’annonce d’une prochaine initiative de paix car “le monde a besoin de tranquillité”.
On sait que le Président chinois affiche lui aussi une prétention de médiateur de paix dans ce qu’il appelle “un conflit” et non une guerre injuste, en campant sur une position apparemment neutre, approuvée par une grande partie des pays du “Sud global” qui se sont abstenus en Assemblée générale des Nations-Unies, malgré les dispositions du droit international et celles de la Charte de l’organisation mondiale.
Les déclarations récentes du Président Lula au sujet de la guerre en Ukraine, comme celles de Xi Jinping, ont fait les grands titres des rubriques internationales des médias, mais sont-elles des “nouvelles fraîches” ? Dans cette période, l’ordre international instauré à l’issue de la Seconde guerre mondiale est bousculé par la résistance ukrainienne à l’invasion russe avec l’aide de l’Occident. Les superpuissances américaine et chinoise et les acteurs internationaux de poids cherchent à influencer le cours des évènements en Ukraine qui reconfigureront l’ordre mondial pour des années sinon les décennies à venir. Les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe sont à la manœuvre et les autres États en Amérique latine, en Asie et en Afrique sont conduits à choisir leur camp ou contraints de le faire du fait de leurs dépendances. Sur cet échiquier, la voix du Brésil importe. C’est le plus grand pays d’Amérique latine par sa géographie, sa population, son insertion dans l’économie mondiale et ses relations internationales étendues. Pourtant, sur la question ukrainienne, la position brésilienne, si elle déçoit les défenseurs du droit international, ne devrait pas surprendre outre mesure. En effet, elle s’inscrit dans la logique des positions et des choix effectués lors des précédents mandats du président brésilien, il y a vingt ans. Bien sûr, les relations du Brésil avec les États-Unis restent étroites et le premier voyage de Lula en 2023 a eu lieu à Washington, voisinage oblige. Toutefois, dès 2003, le Président Lula rompait avec l’alignement traditionnel du Brésil sur Washington et s’employait activement à renforcer la place et l’autonomie de l’Amérique latine sur la scène internationale, il prenait des initiatives de regroupement régional et établissait “un partenariat stratégique” avec la Chine devenu “un partenariat stratégique mondial” en 2012, sous la présidence de Dilma Rousseff adoubée par Lula.
Alliances économiques du Brésil
Depuis 2009, la Chine est, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial du Brésil, avec 152,6 milliards de dollars d’échanges bilatéraux l’an dernier, loin devant les États-Unis (88,8 milliards). A cet égard, de Jaïr Bolsonaro à Inacio Lula Da Silva, les intérêts du Brésil et de ses industries, en particulier l’agrobusiness et la production minière, ne connaissent pas de revirements notables malgré les proclamations antichinoises, voire racistes, de Bolsonaro.
D’autre part, les géants latino-américain et chinois sont membres du groupe des BRICS (avec l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud). Ces cinq pays dits émergents totalisent une population d’environ trois milliards d’habitants soit environ 40 % de la population mondiale. Le poids économique considérable des BRICS est appelé à s’accroître : en 2023, le bloc des cinq pays contribue à 31,5 % du PIB mondial, dépassant pour la première fois la part du G7 (30,7 % du PIB mondial). Les données fournies par l’institut de recherche britannique Acorn Macro-Consulting indiquent que la tendance devrait s’accentuer dans les prochaines années, portée par la croissance importante des économies de la Chine et de l’Inde.[1]
Le groupe des pays dits émergents a créé des institutions, en particulier la Nouvelle Banque de Développement (NBD) des BRICS dont le siège est à Shangaï et elle a pour ambition de devenir une alternative à la Banque mondiale. En 2023, le Brésil entend renforcer les BRICS et, sur proposition de Lula, “L’ancienne présidente du Brésil Dilma Rousseff a été élue présidente de la Nouvelle Banque de Développement (NBD) des BRICS, lors d’un vote unanime de son directoire, a annoncé le groupe de grands pays émergents[2].” M. Lula a assisté le 13 avril à Shanghai à l’intronisation de l’ex-présidente de gauche du Brésil Dilma Rousseff. Cette banque est rejointe par l’Egypte, les Emirats arabes unis et le Bengladesh qui élargiront le groupe BRICS dans un format BRICS+.
La stratégie chinoise en Amérique latine
Selon Emmanuel Véron, enseignant –chercheur à l’INALCO, “Pékin développe sa stratégie latino-américaine dans un triple objectif : diversifier ses sources d’approvisionnement en ressources naturelles et agricoles ; incarner un leadership non occidental en matière de développement ; et étouffer Taïwan[3].” On sait que la Chine, du fait de son régime politique, a la possibilité de définir des stratégies sur un temps long. Son Livre Blanc des relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes date de 2008 et place le Brésil au cœur des ambitions de Pékin dans la région.
L’emprise de la Chine sur le Brésil a été d’une rapidité saisissante sous les mandatures de gauche au Brésil (Lula et Rousseff). Les échanges sont-ils équilibrés et profitables aux deux pays ? Comme pour les pays européens, les chiffres du commerce extérieur du Brésil avec la Chine montrent un déséquilibre quantitatif et qualitatif et l’absence de réciprocité. En 2000, la Chine représente 2 % des exportations du Brésil et 33 % en 2020 (sous mandature de droite), pour un volume total de 68 milliards de dollars. Quant aux importations brésiliennes en provenance de Chine elles représentent plus de 21 % en 2020, devant les États-Unis (17 %) et l’UE (19 %). La nature des échanges est foncièrement déséquilibrée : le Brésil exporte des matières premières, du pétrole et des minerais et importe de Chine des produits manufacturés à forte valeur ajoutée. En outre, les investissements chinois et les prêts des banques chinoises se sont déployés dans presque toutes les régions de l’État fédéral brésilien sur des secteurs stratégiques : pétrole, hydroélectricité, électricité, infrastructures de transports et ports, sans oublier le militaire, les médias et le spatial.
La désindustrialisation et la “reprimarisation” de l’économie du Brésil est en marche. On reconnaît dans l’emprise chinoise des mécanismes de mise sous tutelle d’une économie de pays en voie de développement, ce que les économistes marxistes, les théoriciens de l’échange inégal et les militants anticolonialistes de la seconde moitié du XXe siècle ont décrit, en particulier en Amérique latine [4], pour dénoncer l’impérialisme américain et le capitalisme conquérant.
La politique extérieure et intérieure du Brésil de Lula va être observée avec attention dans les prochaines semaines. Cependant, les dernières déclarations de Lula ne laissent pas espérer d’inflexion. Lors de son voyage à Pékin les 13 et 14 avril , il n’a pas campé le Brésil sur une position médiane face à la Russie et à l’Ukraine lui permettant de devenir un médiateur de paix. Ses déclarations à Pékin le 14 avril le confirment. Souhaitant « la paix », il ne dit pas un mot sur la tragédie qui s’abat sur l’Ukraine et sur l’agression russe. Par contre , il condamne des États-Unis qui « doivent cesser d’encourager la guerre et parler de paix…(Le Monde, 17 avril 2023).
La Chine, on le sait, privilégie les relations bilatérales avec le Brésil et Lula ne s’est pas fait accompagner par des représentants de pays latino-américains, introuvables partisans d’une approche régionale de la relation avec la Chine. Pourtant, le président du géant de l’Amérique latine aura du mal à trouver une voie pour plus d’autonomie du Brésil et de l’Amérique latine. Il reste à l’Union européenne à démontrer qu’elle pourrait être inspirante.
Maurice NAHORY
[1] 23 mars 202-Posté pare Briefing sur la Route de la soie
[2] AFP, Le Figaro, 23 mars 2023
[3] The conversation.fr
[4] Celso Furtado et Enrique Cardoso au Brésil