Le mardi 18 avril en soirée, Arte programme deux documentaires sur des actualités et sujets de sociétés au Chili. Le premier, Chili le peuple contre les économistes réalisé par Carola Fuentes, aborde le rapport du peuple avec l’économie néolibérale dont le chili a été le laboratoire, le second, Le Chili contre l’héritage de la dictature réalisé par Steffi Fetz, traite de l’héritage de la dictature.
Photo : ARTE TV
Le Chili, laboratoire du néolibéralisme, fut, en 2019-2020, le théâtre d’un grand mouvement populaire. Retour, via le portrait croisé de deux protagonistes que tout oppose, sur cette lutte acharnée d’un peuple en marche vers une nouvelle Constitution. En 1973, un groupe d’économistes chiliens, les « Chicago Boys », inspirés par les travaux de l’apôtre du libéralisme Milton Friedman, jettent les bases d’un nouveau modèle économique. Fondé sur le désengagement de l’État au profit des entreprises privées, il sera expérimenté dès l’accession au pouvoir du général Pinochet après son coup d’État. En octobre 2019, alors que le pays reste en proie à d’importantes inégalités, un million de personnes manifestent dans les rues de Santiago à la suite d’une augmentation du prix du ticket de métro. Ce soulèvement débouche sur l’abrogation par référendum de la Constitution, héritage de la dictature. Le 25 octobre 2020, le pays se prononce à 78 % pour la rédaction d’un nouveau texte. Mais deux ans plus tard, le projet proposé par l’assemblée constituante est rejeté par 62 % de voix contre.
“Le Chili s’est réveillé”
De son poste de télévision, Ramiro, économiste néolibéral et conservateur, accueille le grondement populaire avec anxiété et perplexité. Alors qu’elle tracte dans les rues de Santiago, Mariana, figure de proue du mouvement social qui traverse le Chili en cette fin d’année 2019, est transcendée par une espérance inédite. Tout au long de ce documentaire, ces deux protagonistes que tout oppose nous entraînent dans les profondeurs d’une société chilienne déchirée, en quête de justice sociale. D’origine modeste, Mariana représente cette frange de la population particulièrement maltraitée par la politique néolibérale, qui souffre du manque d’accès à l’eau potable, à l’hygiène et même à l’alimentation. Quant à Ramiro, le réel lui revient brutalement en plein visage : alors que l’entrepreneuriat, la flexibilité et l’innovation devaient garantir croissance et prospérité, l’utopie libérale en laquelle il croit semble surtout avoir brutalisé les personnes les plus fragiles socialement. Par le prisme de ces trajectoires, Carola Fuentes et Rafael Valdeavellano ont su capter la lueur d’espoir du peuple chilien en marche vers plus de justice sociale en mettant aussi au jour les tensions qui le traversent.
L’autre documentaire, Le Chili contre l’héritage de la dictature se déroule après les mobilisations de 2019. Le Chili s’est lancé, pour une durée d’un an, dans l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Un film en immersion au sein de l’assemblée constituante, à l’épreuve d’une société fragmentée. En octobre 2019, au Chili, une puissante mobilisation populaire conduit à l’abandon de la Constitution héritée de la dictature de Pinochet et à la convocation d’une assemblée constituante. À partir de juillet 2021, 155 personnes élues, issues de la société civile, se réunissent à Santiago pour échafauder de nouvelles institutions. Dans ce pays laboratoire du néolibéralisme, l’État est depuis plus de quarante ans au service du marché. Les grandes exploitations agricoles accaparent l’eau et les terres au détriment des populations indigènes, les secteurs de l’éducation et de la santé sont privatisés et les loyers fluctuent au rythme imprévisible de la spéculation financière. Retransmis en direct, les débats débouchent sur un texte qui sonnerait le glas de cette ère en instaurant un droit constitutionnel à l’eau, à l’éducation ainsi qu’à la santé, et ouvrirait la voie à la reconnaissance du caractère multiculturel du Chili. Mais le camp conservateur contre-attaque avec une virulente campagne surfant sur les craintes des plus démunis. Le 4 septembre 2022, le “non” l’emporte à 62 % au référendum organisé pour l’approuver.
Espérance et frustration
Suivant ce bouillonnement populaire et démocratique, la caméra de Steffi Fetz, en immersion au sein de l’assemblée constituante, part à la rencontre de ses membres, en prenant comme fil rouge Valentina, porte-voix d’une jeunesse chilienne réclamant plus d’égalité et de justice. Dans les couloirs du Parlement, l’étudiante débat et s’allie avec Cristina, microbiologiste, Raul, avocat plus conservateur, ou encore Alexis, chef de l’ethnie mapuche, qui représente 4 % de la population. Ayant œuvré une année durant pour offrir au Chili stabilité et progrès, tous s’attachent, malgré leurs différences, à prendre à bras-le-corps les difficultés rencontrées par la population. Donnant la parole à des politologues et à des universitaires, ce documentaire cherche à comprendre les origines du rejet final du texte. Quel rôle a joué le multiculturalisme chilien dans la méfiance exprimée par les classes populaires, malgré les nombreux droits sociaux qui leur étaient accordés ? À l’annonce des résultats du référendum, Valentina ne peut réprimer ses larmes : frustrée mais pas abattue, elle jure être prête à retourner au combat. Mais cette fois, il lui faudra ferrailler avec une opposition conservatrice en position de force.
D’après Arte TV
Chili, le peuple contre les économistes, de Carola Fuentes, 2022, Chili.
Le Chili contre l’héritage de la dictature, de Steffi Fetz, 2022, Allemagne.