Une soirée en hommage au musicien et poète chilien Stephen Honeyman, aura lieu au Centre culturel de la vie Associative de Villeurbanne le 29 avril à 19 h 30. Cette soirée de Chants pour un poète est organisée avec le soutien de l’Association France Amérique Latine, dans laquelle il milita activement. Cette soirée permettra de faire le deuil nécessaire, de le célébrer, dans la joie et la poésie, avec de la musique, du pain et du vin.
Photo : Groupe Pirca
Pour tous ceux qui l’ont connu, côtoyé et apprécié, Stephen Honeyman, était sans doute le plus lyonnais des Chiliens ou le plus chilien des Lyonnais ce qui, au fond, s’agissant d’un tel personnage, revient presque au même. Stephen était né, en février 1953, comme il aimait à le rappeler, dans l’héroïque ville de Rancagua, au sud de Santiago, où le père de la patrie, Bernardo O’Higgins, héros de l’indépendance, avait scandé sa célèbre consigne « vivre dans l’honneur ou mourir dans la gloire ». Après le coup d’état de 1973, il dut interrompre ses études de Sciences Politiques et d’Histoire Géographie à l’Université du Chili, pour s’exiler en France, et devint, en quelque sorte, l’un des pères fondateurs de cette diaspora chilienne lyonnaise dont les rangs allaient grossir, à mesure que le fascisme et la répression s’installaient durablement au Chili.
Comme beaucoup de réfugiés, il a fallu rapidement trouver un moyen de subsistance et, après une formation à l’AFPA, Stephen est devenu fraiseur, métier dont il garda toujours un bon souvenir, surpris qu’il était de ce qu’il était capable de faire « de ses mains. » Il suivit par la suite une autre formation de dessinateur en mécanique, métier qu’il exerça pendant douze ans jusqu’à devenir chef de projet. Finalement, après des études au CNAM et à Lyon 2, il devint ingénieur en études du travail /ergonome et finit sa vie professionnelle comme consultant d’entreprises et professeur d’ergonomie.
Évoquer Stephen, c’est parler de son engagement politique et son activisme à toute épreuve dans de nombreux collectifs chiliens et franco-chiliens de solidarité avec le Chili jusqu’à la chute de la dictature en 1990 et, à partir de là, pour l’instauration au Chili d’une société plus juste, plus démocratique, plus solidaire et respectueuse de tous les droits humains. Il a vécu ses derniers jours dans l’espoir de voir ses rêves enfin réalisés à l’occasion de la flambée sociale qui a secoué le Chili en Octobre 2019. Son départ prématuré lui aura au moins épargné le dénouement d’un processus de refonte constitutionnel qui nous laisse pour le moins perplexes.
L’engagement de Stephen était multiforme, généreux, sans limites et toujours dans la bonne humeur, avec le sourire et l’optimisme sans faille qui le caractérisaient : on l’a vu distribuer des tracts, coller des affiches qu’il avait souvent lui-même conçues, manifester, faire des discours, communiquer dans les médias, cuisiner les nombreuses spécialités culinaires chiliennes dont il avait le secret, organiser des événements culturels mais aussi, lire ses poèmes, chanter et jouer de la zampoña, la flûte de pan des Andes, son instrument de prédilection.
Car Stephen était aussi et avant tout un immense artiste, auteur de nombreux ouvrages de poésie (1979, Del Humus nace la Flor, 1981, Antropogénesis o la segunda comuna, 2005, Odamente Vuestro) et de compositions musicales. Ses poèmes ont été mis en musique, pour la première fois, par le musicien chilien Manuel Gallardo en 1982, dans le disque « Rueda la Tarde » et dont la préface du célèbre groupe Inti Illimani disait « La voix de Manuel Gallardo et les textes de Stephen Honeyman…..nous ont un parfum du Chili des bords du Rhône, d’un Chili qu’aurait baigné, qu’aurait imprégné le doux et aimable climat de cette partie de la France; ils nous font comprendre ces chiliens qui, pleins de nostalgie pour un pays flottant dans une étrange dimension de l’espace et du temps, trouvent une patrie, le pain et le refuge dans cette précise et fugitive latitude de l’exil ». À la fin des années 70 il cofonde avec Manuel Gallardo, puis dirige pendant une dizaine d’années le groupe de musique folklorique latino-américaine, Pirca.
Parmi les nombreux textes musicalisés par lui-même ou par d’autres compositeurs, il en est un qui ressort particulièrement, il s’agit de la « Cantate du Cinquième soleil », hommage à Barthélémy de las Casas, missionnaire dominicain (1484-1566) qui fut l’un des premiers à élever sa voix contre l’oppression et l’esclavagisme exercés par les colons espagnols et qui a été le défenseur des droits des amérindiens dans la célèbre Controverse de Valladolid.
Cette cantate a été commandée, au milieu des années 80, par le père dominicain François Biot, du couvent Le Corbusier, au compositeur chilien Alejandro Guarello. Il s’agit d’une œuvre pour chœur, orchestre, récitant et groupe traditionnel latino-américain. Le texte de Stephen fait référence au passé culturel des indiens d’Amérique, bien avant la conquête. Les indiens se représentaient l’évolution du monde comme une succession de périodes cycliques ou ‘soleils’ : au cours des siècles, naît, vit et meurt chaque soleil. Pour Stephen, le cinquième soleil a commencé au moment de l’invasion et de la conquête espagnoles, puis de la colonisation et du génocide des indiens. C’est une période d’esclavage, de massacres, de dictatures et d’interventions étrangères ; elle se prolonge jusqu’à nos jours. Les solistes et le chœur évoquent ce drame, le silence, l’absence des divinités protectrices. Mais la cantate conclut par un chant d’espoir dans la naissance, que tous espèrent proche, d’un monde enfin sans prisonniers : l’ère nouvelle du sixième soleil. Cette cantate fut jouée pour la première fois au couvent Le Corbusier en 1985 et enregistrée en 2016, sous la direction de Martine Lecointre, par le groupe Pirca, la Chorale Populaire de Lyon, l’orchestre Jeu de Cordes et l’actrice Corinne Chevalier, en tant que récitante.
En février 2023, Stephen aurait fêté ses 70 ans, mais le sort et son fragile état de santé en ont décidé autrement. Il nous a quittés en mars 2020, en plein confinement, entouré d’un petit cercle familial, sans que nous autres, ses nombreux amis, connaissances, camarades, compatriotes, collègues, musiciens et famille au sens très large du terme n’ayons pu l’accompagner, lui dire adieu, ni au revoir, ni à plus tard, ni Hasta Siempre.
Cette soirée d’hommage du 29 avril au Centre culturel à la vie associative (CCVA) à Villeurbanne, cette soirée Chants pour un poète organisée avec le soutien de l’Association France Amérique Latine, dans laquelle il milita activement pendant de nombreuses années, sera pour nous un moyen de nous rédimer, de faire le deuil nécessaire, de le célébrer comme il l’aurait souhaité, dans la joie et la poésie, avec de la musique, du pain et du vin.
Édicto GARAY – Groupe PIRCA
AU PROGRAMME
Première partie (45 mn) Chœur de l’Association Musicale Populaire – direction : Pierre Vallin. Aukaragko (Extasis de la Machi) Stephen Honeyman – Jorge Springinsfeld) – création. Chœur final de l’opéra “Splendeur et Mort de Joaquin Murieta” (Sergio Ortega) – Groupe PIRCA La Paloma (Stephen Honeyman – Manuel Gallardo). Los Transmutantes (Stephen Honeyman – Manuel Gallardo). La Llamarada (Stephen Honeyman – Manuel Gallardo). Cuando deba dormir para siempre (Stephen Honeyman-Marcelo Donoso). Oda por ti Safo (Stephen Honeyman-Marcelo Donoso). Hermanos de la Diáspora dispersa (Edicto Garay – Marcelo Donoso).Tous les textes seront lus , en français, par la comédienne Corinne Chevalier
Deuxième partie (35 mn) Cantate du cinquième soleil (Stephen Honeyman – Alejandro Guarello). Direction : Martine Lecointre. Interprètes : Groupe PIRCA Orchestre Jeu de Cordes. Chœur de l’Association Musicale Populaire.