L’Ibéro-Amérique vient de clore, le 25 mars 2023, une Conférence intergouvernementale à Saint-Domingue et un congrès des académies de langue espagnole à Cadix. Tout le monde donc serait sur le pont à quelques semaines du sommet tant attendu entre l’Union européenne et l’Amérique latine.
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Les apparences sont sauves. Vingt-deux délégations ont fait acte de présence. Deux d’entre elles étaient même titulaires d’une chaise double, l’Espagne et le Portugal. Un respectable recueil de résolutions, bonnes sans doute, portant sur la protection de l’environnement, celle des droits de l’homme et des camélidés ont été adoptées. Le point 45, en page 9 et dernière, de la déclaration finale, souhaite le meilleur au IIIe Sommet Union européenne et CELAC (Communauté des États Américains et de la Caraïbe), sûr qu’il contribuera « à l’approfondissement de l’association stratégique bi-régionale ». Suivent de la même eau, des vœux tout aussi sincères adressés à la Communauté des pays de langue portugaise, (CPLP), et au Fonds de développement des peuples indigènes d’Amérique latine et de la Caraïbe (FILAC).
Mais quel est le moteur ayant activé ces excellentes résolutions ? Celui d’évidence d’une diplomatie espagnole qui a fait feu de tout bois, avec le soutien latéral de Josep Borrell, Haut-représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la sécurité, ex-ministre espagnol des Affaires extérieures. Avec une double préoccupation. Celle en préparation de la présidence espagnole de l’Union européenne en dépit des circonstances ukrainiennes, de mettre l’Amérique latine dans l’agenda des Lettons et autres Polonais, autant que dans celui des Italiens et des Portugais. Et deux, Madrid a tout autant mouillé sa guayabera diplomatique, climat de circonstance thermométrique et culturelle oblige, pour tenter de rallier les « ibéros » au juste combat mené contre les envahisseurs russes.
Le rappel à l’Europe de l’existence au sud du Rio Grande d’un autre nouveau monde, est pertinent. Les Amériques ibériques ont été nolens volens à l’origine de la première mondialisation. Beaucoup en Europe font leur compte, à l’ONU, au moment des votes condamnant l’invasion russe et ne comprennent pas la discrétion latino-américaine. « Il est donc, leur dit l’hôte de la Moncloa, le Matignon espagnol, Pedro Sánchez, temps de leur parler les yeux dans les yeux. Je m’en suis chargé à Santo Domingo et à Cadix. À Bruxelles, les 17 et 18 juillet prochains, à l’occasion du IIIe Sommet UE/CELAC, je vous invite à entrer en jeu, vous aussi. »
Les choses ne sont pas si évidentes qu’il y paraît. L’Amérique ibérique, c’est un « machin » à consonance espagnole. Il permettait au départ de donner à l’Espagne, entrée dans la CEE, une plate-forme d’influence, hors de toute interférence « étrangère ». Pas de référence à la latinité, si chère, enfin en d’autres temps, à la France. Et encore moins à l’hémisphère occidental, renvoyant aux États-Unis. Le cercle d’amis, ainsi fabriqué, ne concerne donc que la péninsule ibérique d’Europe, et les « Américains », ibérisés d’antan par l’Espagne et le Portugal. Exit Haïti, les Guyanes indépendantes, Belize, les Antilles grandes et petites, et bien sûr Canada, Québec compris, et États-Unis ; Washington s’est vengé en bloquant la participation pleine et entière de Porto Rico, certes hispanophone, mais État qui lui est associé. La France a forcé sa participation, sans le vouloir, après l’adhésion d’Andorre en 2004. Andorre, pays ibérique, est en effet coprésidé par l’occupant de l’Élysée.
La France est depuis 2010, membre associé, comme l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, la Corée et le Japon. Au XXVIIe Sommet, en Andorre, le président français, coprince du Principat… était donc puissance invitante. À sa décharge, ou son contraire, Emmanuel Macron a modestement fait acte de présence en visioconférence… L’Allemagne en revanche, a choisi en Amérique ibérique, comme en bien d’autres lieux internationaux, de faire chambre à part. Foin de subtilités sémantiques d’un autre âge, elle mène tambour battant, une charge déferlante en « Nouveau Monde Méridional ». Président, Chancelier, Vice-chancelier voyagent en abonnés du Courrier sud, de Berlin à Bogotá, Brasilia, Buenos Aires, Mexico, Santiago du Chili.
Quant aux Ibéro-américains, les convaincre de rejoindre dans les plaines d’Ukraine, les croisés de la démocratie, relevait de l’apostolat. Pedro Sánchez n’a rien obtenu de ce côté-là. Pas un mot sur la guerre Ukraine-Russie dans la déclaration finale adoptée à Saint-Domingue. Sauf une référence qui ne mange pas de pain à la nécessité de travailler à « une paix complète, juste et durable partout dans le monde » et « le refus d’appliquer des mesures coercitives unilatérales violant la Charte des Nations unies ». L’absence à Santo Domingo des chefs d’État brésilien et mexicain, représentant les deux puissances régionales, aurait compliqué un peu plus les efforts de Pedro Sánchez. Ces deux États, bien qu’en ordre dispersé, ont fait des propositions de résolution du conflit russo-ukrainien reposant sur la diplomatie et rejetant sanctions économiques et livraisons d’armes. Leur absence a par ailleurs confirmé l’entrée en rendements décroissants des Conférences ibéro-américaines, comme d’ailleurs en parallèle transatlantique, celle des conférences franco-africaines.
La moralité de l’événement a été sobrement et de façon délibérément optimiste tirée par Luis Abinader, président de la République dominicaine : « Nous avons saisi cette opportunité pour renforcer nos points de coïncidence, qui comme toujours prennent le dessus sur nos désaccords ».
Jean-Jacques KOURLIANDSKY