Cheval de bataille dans la lutte contre l’extrême pauvreté, le président brésilien récemment élu relance la « bourse familiale ». Proche du concept de revenu de base, ce programme social phare de son premier gouvernement avait été remplacé par le programme Auxilio Brasil de l’ex-président Jair Bolsonaro.
Photo : Bolsa Familia
« Dieu, Patrie, Famille », c’est le slogan scandé par les bolsonaristes lors des manifestations de masse. Ordem e Progresso (Ordre et Progrès), c’est la devise inscrite sur le drapeau national depuis sa création en 1889. Ces hauts idéaux se fondent et se confondent dans le Brésil d’aujourd’hui. Le tourbillon de l’ère Bolsonaro commence à se décanter, mettant à découvert les bases mêmes d’un avenir prospère : des millions de familles laissées pour compte, sous l’effet centrifuge d’une crise économique et sanitaire provoqué par le tsunami Coronavirus (~ 700 000 morts).
Dans ce contexte aux allures apocalyptiques, la dernière élection présidentielle en novembre 2022 a été la grande occasion pour les plus démunis de ressusciter l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011). En effet « Lula » incarne la fin du cauchemar, pour ces compatriotes réduits dans la zone d’ombre de l’administration Bolsonaro. Dans un pays profondément religieux, c’est la seconde venue de l’homme providentiel qui revêt, et plus que jamais, le statut de messie.
Toutefois, si beaucoup pensent que Lula est venu pour arracher les pauvres du désespoir, il faudrait d’abord, comme le rappelle le président lui-même, calmer l’impatience. « Nous ne promettons pas que Bolsa Familia résoudra tous les problèmes de la société brésilienne. C’est le premier plat de soupe, le premier plat de haricots. C’est le verre de lait, le premier pain, le premier morceau de viande », a-t-il déclaré, le jeudi 2 mars, lors de la signature de la mesure provisoire qui recrée la nouvelle prestation sociale.
D’une valeur minimale de 600 R$, plus 150 R$ pour chaque enfant jusqu’à l’âge de six ans (1 R$ = 0,18 €), l’aide stipule également un paiement supplémentaire de 50 R$ pour les femmes enceintes et pour chaque membre de la famille âgé entre 7 et 18 ans. On pourra regretter que l’éventuelle distribution gratuite de préservatifs et l’enseignement des méthodes de contraception n’ont pas été évoqués lors de la présentation du programme. Cela malgré les études menées par des sociologues et climatologues qui pointent l’explosion démographique comme principal agent de pauvreté, de violence familiale, de criminalité* et du dérèglement climatique (de 215 millions d’habitants aujourd’hui, le pays devrait assurer l’avenir de 230 millions en 2050, alors que 50 millions vivent avec moins de 2 euros par jour et plus du tiers se situe sous le seuil de pauvreté).
Or, pour bénéficier de la nouvelle allocation familiale, dite « conditionnelle », le gouvernement exigera des parents une preuve de fréquentation scolaire pour les enfants et les adolescents. De leur côté, les femmes enceintes auront droit à des soins prénataux et, pour éviter une surcharge du système sanitaire, une mise à jour du carnet de vaccination sera nécessaire, « avec toutes les vaccinations prévues dans le programme national de vaccination du ministère de la Santé. »
En ce qui concerne les attentes générées par cette véritable bouée de sauvetage pour les plus défavorisés, le ministre du Développement et de l’Assistance sociale, de la Famille et de la Lutte contre la faim, Wellington Dias s’en félicite : « C’est notre Bolsa Familia, qui revient renouvelée et qui sera facteur d’économie. L’argent circule chez le marchand de légumes, la boucherie, l’épicerie, dans tous les coins du Brésil et sera, en soi, un facteur de création d’emplois. »
Ce qui rappelle le bilan positif du même dispositif, à partir de 2004. Inspiré du programme mexicain Oportunidades, mis en place au Brésil pendant la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2003), la Bolsa Familia a été le fer de lance de la politique sociale de Lula, lequel a notamment permis de réduire de 8 % le taux d’absentéisme dans les écoles (rapport 2007-2008). Selon les dernières estimations, entre 2003 et 2014, 29 millions de personnes sont sorties de la pauvreté et plus de 12 millions de familles ont bénéficié du programme.
À présent, toutes les familles dont le revenu atteint moins de 218 R$ auront accès à ce programme qui s’inscrit dans une politique sociale pour le moins ambitieuse. Ainsi, pour le ministre Wellington Dias « l’engagement est plus qu’un simple transfert de revenus, nous avons, avec Bolsa Familia, 32 autres programmes qui lui sont liés […], en accompagnant toute la vie des générations actuelles mais en travaillant pour l’interruption d’un cycle historique de la pauvreté, avec l’objectif d’ouvrir une opportunité en particulier pour les nouvelles générations. » Trois mois après sa prise de fonction, le président Lula a fixé la date du 20 mars pour le paiement supplémentaire du nouveau dispositif, dans l’urgence de redresser un système social vital pour consolider les bases de son électorat, sans lesquelles l’Ordre et le Progrès resteront, hélas, la devise nationale d’une république platonique.
Eduardo UGOLINI
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* Cette question circule sur le web : « Quelle couleur de porte faut-il éviter au Brésil ? Le rouge est à proscrire car il est associé à la violence. » Le Brésil a connu une moyenne de 30,3 homicides pour 100 000 habitants en 2017, soit 63 895 homicides. La même année, 367 policiers brésiliens et 15 Français en mission ont été assassinés (en France, le taux pour le même nombre d’habitants est de 1,35 ; en Suisse, de 0,54).