Chez Espaces Latinos en ce 8 mars 2023, dans le cadre de la Journée internationale du droit des femmes, nous décidons de publier un texte de l’ONG Human Rights Watch, pour mettre à l’honneur le combat des femmes pour leur droits, en Amérique latine et dans le monde. L’autrice, Macarena Saéz, directrice exécutive de la division femmes au sein de l’ONG, rappelle également à quel point les avancées sont fragiles et liées à la santé de la démocratie d’un pays.
Photo : El Mostrador – Chile
Il est clair que le progrès n’est jamais linéaire et que la défense des droits humains peut être une tâche difficile. Mais les gains en matière de droits des femmes sont particulièrement fragiles. Se retranchant souvent derrière des concepts qu’ils présentent comme inoffensifs, tels que la protection de la famille et des enfants ou la protection de traditions sociétales, les gouvernements limitent l’autonomie des femmes, comme si ces restrictions n’étaient pas motivées politiquement et n’équivalaient pas à des violations de droits humains.
Des exemples de restrictions flagrantes des droits des femmes ne sont pas difficiles à trouver. Dans sa politique en matière de population, le gouvernement chinois traite les femmes comme des « ventres » en les soumettant à des avortements forcés ou à des grossesses forcées en fonction des « besoins » du pays ; en Iran, la police des mœurs a fait appliquer avec brutalité les lois sur le port obligatoire du hidjab pour les femmes ; le Qatar incrimine les relations sexuelles hors mariage et une grossesse sert de preuve à l’encontre des femmes ; la Russie et la Turquie réduisent délibérément les protections contre les violences conjugales ; en Afghanistan, les talibans privent de nouveau les femmes et les filles d’une éducation, de travail et des libertés les plus fondamentales.
Bien sûr, les femmes se heurtent à des discriminations et à d’autres violations de leurs droits dans les démocraties, mais quand un pays est doté d’un système fonctionnel d’équilibre des pouvoirs – des tribunaux indépendants, des médias libres, une participation active à la politique, des contrôles efficaces et un libre accès à des recours et à la justice – les femmes disposent d’outils pour se prémunir contre les retours en arrière. Dans la réalité, l’égalité avec les hommes dans le domaine des droits et des possibilités est le signe d’une démocratie robuste, tandis que la réduction des droits des femmes est le signe inquiétant d’une démocratie affaiblie.
Nous avons vu comment la mise sous contrôle politique des tribunaux a eu pour conséquence la réduction des droits des femmes. En 2020, le Tribunal constitutionnel polonais a virtuellement interdit l’avortement lorsqu’il a jugé inconstitutionnel l’avortement en cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable potentiellement mortelle pour le fœtus ». En juin, la Cour suprême des États-Unis a abrogé la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, effaçant près de 50 ans de jurisprudence. Les conséquences de ces décisions ont été dévastatrices pour les femmes enceintes. Au Salvador, des tribunaux ont condamné à 30 ans de prison des femmes qui avaient fait une fausse couche.
Nous devons affirmer explicitement que quand un gouvernement dicte aux femmes où et avec qui elles peuvent aller, comment elles doivent s’habiller et si elles peuvent être enceintes ou pas, il montre des signes clairs d’autoritarisme. De telles restrictions non seulement affectent directement plus de la moitié de la population mais, entre autres effets, elles accroissent également le pouvoir arbitraire du gouvernement sur la communauté. Les restrictions aux droits des femmes minent la démocratie. Les femmes le savent et payent souvent le prix fort quand elles expriment publiquement leur désaccord.
En Afghanistan, les femmes protestent sans relâche contre les talibans depuis plus d’un an. En réponse, les talibans ont accru leurs persécutions et leurs violences. Des femmes ont été arrêtées arbitrairement, détenues dans des lieux secrets et passées à tabac, avant d’être remises en liberté des semaines ou des mois plus tard sans jamais être inculpées.
En Iran, le soulèvement populaire déclenché par la mort de Mahsa (Jina) Amini a montré un pays où les femmes – ainsi que les hommes – en ont assez d’un régime qui contrôle et dénie aux femmes leurs libertés au point de les brutaliser, et comprennent que les discriminations à l’encontre des femmes font partie du répertoire répressif des autorités. L’État iranien a réagi avec une force excessive, tuant des manifestants, dont de nombreuses femmes et filles, et arrêtant des milliers de personnes.
En Pologne, une activiste des droits des femmes, Justyna Wydrzynska, est passible de trois ans de prison pour les chefs d’accusation d’assistance à personne cherchant à obtenir un avortement et de « trafic » de médicaments, après avoir prétendument aidé une femme à se procurer des pilules en vue d’un avortement médicamenteux volontaire. Aux États-Unis, la pénalisation de l’avortement devient également une question de liberté d’expression et d’information, ainsi que de droit à la protection de la vie privée, car les gouvernements de certains États peuvent poursuivre en justice des personnes recherchant des informations sur l’avortement sur les médias sociaux.
Mais face à la répression, les mouvements de défense des femmes sont de plus en plus interconnectés à travers le monde. Les femmes iraniennes ont emprunté au mouvement des femmes kurdes son slogan « Femmes, Liberté, Vie ! ». En Afghanistan et en Indonésie, les femmes ont également manifesté en solidarité avec les femmes iraniennes. Au Mexique, les organisations féministes aident les femmes vivant aux États-Unis à obtenir des avortements médicamenteux sûrs. Dans le monde entier, des femmes ont protesté contre les violences sexuelles en interprétant dans leur propre langue « The Rapist Is You » (Le violeur, c’est vous), une chanson créée par des activistes chiliennes.
Aux États-Unis, l’avortement a de nouveau figuré parmi les thèmes dominants lors des dernières élections de mi-mandat présidentiel. Six États ont organisé un vote sur des initiatives liées à l’avortement et dans chacun de ces cas, les citoyens ont voté en faveur de la protection du droit des femmes à l’autonomie. Cependant, l’avortement demeure illégal dans douze États et plusieurs autres risquent de devenir prochainement des « déserts pour l’avortement ». Ces actes législatifs affaiblissent la démocratie en réduisant les protections des droits humains au lieu de les accroître.
En Amérique latine, en particulier, le lien entre démocratie et droits des femmes a été mis en évidence. La « Vague verte », comme on a appelé le mouvement en faveur de la décriminalisation de l’avortement, s’est répandu à partir de l’Argentine à travers toute l’Amérique latine. Et il ne s’agit plus seulement d’empêcher les gouvernements de forcer les femmes et les filles à être enceintes. Les femmes sortent avec leurs foulards verts pour protester contre les féminicides, la destruction de l’environnement, les brutalités policières et l’oppression en général. La « Vague verte » est un appel à l’action en faveur des droits humains.
En un sens, ce mouvement qui se développe à travers le monde est un mouvement circulaire. La lutte pour les droits des femmes dans les démocraties qui fonctionnent se relie aux femmes qui s’opposent à la répression dans les autocraties et leur donne de la force et un soutien précieux. La lutte pour l’autonomie des femmes est un combat contre l’autoritarisme.
D’après Human Rights Watch