Trente-neuf personnes sont décédées le mercredi 15 février à la suite d’un accident de bus, tombé d’une falaise, au Panama. Il s’agissait de migrants, de différents horizons, essayant de rejoindre les États-Unis. Ils venaient de traverser le Darién gap, le passage entre la Colombie et le Panama, la route de tous les dangers.
Photo : Agencia Guatemalteca de Noticias
Juan Pappier, un militant de l’ONG Human Rights Watch explique dans un tweet que cette catastrophe était à prédire : « Lorsque j’ai visité cette région, nous avons vu que ces bus transportaient plus de personnes que ce qui est autorisé et faisaient de longs trajets sans pause. Il y a déjà eu des accidents similaires par le passé, avec de nombreux blessés. » Mais l’accident tragique ayant eu lieu le mercredi 15 février est seulement la partie visible de l’iceberg. Avant de monter dans ce bus, qui devait les rapprocher du Costa Rica, ces migrants ont dû traverser le Darién Gap, ce petit bout de terre reliant le continent sud-américain à l’Amérique centrale, entre la Colombie et le Panama. Là-bas la nature n’est pas tendre : des montagnes, des marécages, et de la jungle. Il y a quelques jour, France 2 diffusait au journal de 20 heure un reportage sur l’effroyable traversée du Darién gap par les migrants en quête de l’El Dorado nord-américain[1]. De toutes origines, Venezuela et Haïti surtout, mais aussi Équateur, et même du Congo, ces familles se sont engagées dans un long voyage pour fuir misère et violence. Le chemin est semé d’embuches et quasiment impraticable, en pleine jungle, et très montagneux. Ils doivent d’abord verser 350 dollars à un cartel de drogue colombien, qui les accompagnera jusqu’à la frontière du Panama. Ensuite, ils sont livrés à leur sort, entre les serpents au venin mortel, les crocodiles, les bandits en tout genre, et les cadavres de ceux qui ont tenté la traversée sans s’en sortir vivant. Les témoignages sont tragiques : une femme que son mari a laissée derrière, dans la jungle panaméenne, partant avec leur bébé, un homme fuyant les cartels équatoriens ayant déjà assassiné sa famille, un père de famille avec ses enfants, ayant fui Haïti en rejoignant d’abord par avion le Chili, avant de se confronter à la traversée de tout le continent, pour rejoindre les États-Unis.
Cette dangereuse traversée est au cœur des préoccupation de l’OIM, l’Organisation Internationale pour les Migrations, une branche des Nations-Unies. En effet, le nombre de migrants ayant emprunté cette route extrêmement dangereuse a presque doublé en 2022, notamment en raison de la détérioration de la situation au Venezuela. Selon les données du projet « Migrants disparus » de l’OIM, trente-six personnes sont mortes dans la jungle du Darien en 2022. Toutefois, d’autres rapports indiquent que de nombreux migrants meurent dans la région du Darien et que leurs corps ne sont ni récupérés ni signalés. Au Panama, l’OIM a mis en place des refuges, pour contrôler l’état de santé des personnes ayant traversé le Darien, souvent en état critique de déshydratation, et fournit des matelas, des couvertures, des lampes solaires, des médicaments, des produits alimentaires et des kits d’hygiène. Depuis les nouvelles mesures d’immigration, plus strictes, annoncées par Joe Biden en janvier, Antonio Vitorino, directeur de l’OIM, confirme néanmoins que le nombre de personnes traversant le Darién gap a tendance à baisser. Les États-Unis ont étendu le programme trumpiste connu sous le nom de « Title 42 » pour faire face au nombre record de migrants qui tentent de traverser la frontière, tout en élargissant les voies légales d’entrée aux États-Unis, en offrant l’entrée au territoire à 30 000 migrants par mois en provenance de Cuba, d’Haïti, du Nicaragua et du Venezuela. La Colombie et le Panama ont aussi convenu d’intensifier leurs opérations militaires communes dans la région pour lutter contre les groupes criminels.
Le cauchemar ne s’arrête malheureusement pas au Darién Gap. L’accident de bus ayant tué ces migrants à peine sortis de ce mauvais rêve le montre bien. Il reste encore à traverser toute l’Amérique centrale et le Mexique pour atteindre la frontière avec les États-Unis. Là aussi, le chemin est périlleux. Pour les groupes criminels, les migrants sont des victimes faciles, comme le démontre le rapport « Des victimes invisibles : protégez les migrants Mexique » d’Amnesty international en 2021 : « Le voyage entrepris par ces hommes et ces femmes est l’un des plus dangereux au monde. Des groupes de criminels se postent sur les principaux itinéraires empruntés par les migrants clandestins et se rendent très fréquemment coupables d’enlèvements, d’extorsions d’argent, de mauvais traitements et de violences sexuelles. Certains migrants disparaissent sans laisser de trace, ils sont enlevés et tués, ou sont volés, agressés et jetés de trains roulant à vive allure. » La situation est encore plus délicate pour les femmes et adolescentes. Amnesty international leur dédie un chapitre entier de ce rapport, avec des chiffres et témoignages effrayants. Six femmes sur dix sont violées au cours de leurs parcours. Le rapport avance également que « la pratique des viols est tellement répandue que les passeurs exigent que les femmes reçoivent un contraceptif par injection avant d’entreprendre le voyage pour qu’elles ne se retrouvent pas enceintes après avoir été violées. » Les groupes criminels et les passeurs considèrent que les agressions sexuelles font partie de la « rançon » qui leur est due. Ces femmes sont également exposées au risque d’être enlevées ; on recense de nombreux cas de disparitions, sans compter les cas passés inaperçus. Amnesty prend l’exemple, pour illustrer l’horreur de la situation, de l’enlèvement, le 5 novembre 2008, de douze migrantes par un groupe d’hommes armés alors qu’elles se trouvaient à bord d’un train de marchandises. Des témoins ont reporté la scène, une plainte a été déposée, mais les femmes, sans doute victimes de trafic, n’ont jamais été retrouvées.
Marie BESSENAY
[1] https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/immigration-dans-l-enfer-de-la-jungle-colombienne-du-darien-gap_5649851.html