« Argentina,1985 » et la mémoire de la dictature

Sorti l’automne dernier, et disponible sur la plateforme Amazon Prime, le film de Santiago Mitre sur le procès de la dictature argentine a gagné le golden globes du meilleur film en langue étrangère. Retour sur un succès cinématographique, démocratique et international.

Photo : Awards

Ce drame historique, relatant un moment important de l’histoire argentine, le procès de la junte, connait un succès mondial, et séduit jusqu’à Hollywood. Le film est inspiré de l’histoire vraie du procureur Julio Strassera et de son adjoint, Luis Moreno Ocampo. L’histoire commence quelques temps après la dictature, lorsque le président démocratiquement élu Raúl Alfonsín affiche la volonté d’entamer un procès pour juger les responsables des atrocités commises entre 1976 et 1983. Or, la nouvelle démocratie est encore fragile, et cette volonté de faire justice a été entravée par les forces armées. La justice militaire est donc dessaisie du procès, et celui-ci est confié au procureur Julio Strassera. Devant le refus général du personnel judiciaire de se joindre à son équipe, soit par crainte, soit par sympathie pour les militaires, Strassera constitue une équipe de jeunes étudiants, à peine sorti de la fac de droit, pour mener l’enquête et présenter l’acte d’accusation au procès, qui a finalement eu lieu en 1985.

Entrecoupé de témoignages poignants et de touches d’humour, cette œuvre a ému l’Argentine. En plus des pleurs et des applaudissements dans les salles de cinéma, notamment au son du « Monsieurs les juges : plus jamais », émouvante clôture du plaidoyer de Strassera, le film, le plus vue de l’année dans le pays, est également salué par la critique de tout bord politique. Le quotidien plutôt conservateur La Nación relate par exemple : « Chacun, dans son fauteuil, sait ce qui va se passer, mais le film est si solide que l’on souffre à nouveau, que l’on s’émeut à nouveau, que l’on va jusqu’au bout de ce voyage dans le passé fait de mots, d’images et d’objets. Il y a l’humour aussi, qui traverse le spectateur comme un répit. » Ce film a eu un impact social indéniable. L’unanimité de la critique en Argentine permet de rouvrir un dialogue national sur les horreurs de la dictature : les disparitions, la torture, la censure…

Ce film sert effectivement d’appui à un important travail de mémoire : des projections ont été organisées dans des écoles avec l’équipe du film, comme le relate La Nación. « Pour des jeunes nés en 2010, cette époque, c’est presque comme l’Égypte ancienne ! On travaille sur ce qu’ont été les juntes militaires, la dictature, mais aussi sur ce que signifie le fait de pouvoir aller au cinéma, de vivre en démocratie… »  raconte le professeur d’histoire d’une classe de cinquième. Comme l’explique le réalisateur pour Infobae, ce film a une volonté de faire naître une réflexion sur ce qu’est la démocratie : « Nous ne voulions pas faire un film sinistre. Non pas parce qu’un tel film aurait été mauvais, mais parce que ce film-ci ne devait pas être sombre. Il devait avoir de la couleur, de l’humour. Et ce ton représente pour nous ce qu’a signifié cet événement. Ce n’est pas un film sur la dictature, c’est un film sur la démocratie et sur un fait héroïque, heureux, de la démocratie.»

Sélectionné, entre autres, pour le festival international du film de Venise et, surtout, victorieux du Golden Globes dans la catégorie meilleur film en langue étrangère, Argentina, 1985, s’est rapidement transformé en succès international. Santiago Mitre a touché le monde entier, avec un film aux accents hollywoodiens qui met à l’affiche Ricardo Darín, probablement l’acteur argentin le plus connu internationalement. Dès les premières secondes de la bande annonce (« Depuis les procès de Nuremberg, aucun pays n’avait osé faire le procès de sa dictature. Jusqu’à l’Argentine, en 1985 ») le ton est donné sur l’importance historique mondiale que revêt le procès. Il s’agit du troisième Golden Globes pour l’Argentine, – les Argentins s’en enorgueillissent d’ailleurs en faisant régulièrement le parallèle avec la victoire de leur troisième coupe du monde de football – une victoire pour le pays, et sa démocratie.

Marie BESSENAY