Alors que le parlement Chilien a récemment approuvé un nouveau processus constitutionnel, après la victoire du « non » au référendum concernant le dernier projet de constitution, l’économiste chilien Sébastian Edwards nous donne des pistes de réflexion concernant les objectifs qu’un tel texte est censé accomplir.
Photo : La Tercera
Selon le constitutionnaliste Frederick Schauer, il existe deux types de constitutions : les « constitutions de l’espérance » et les « constitutions de la peur ». Les premières sont optimistes. Ses architectes croient que le texte constitutionnel peut être utilisé pour avancer vers la prospérité et l’égalité, vers des États-providence supérieurs. Tout ce qui est nécessaire est une feuille de route et un système qui établit l’organisation politique de l’État. Ces constitutions ne fonctionnent que lorsque les « aspirations » sont partagées par la grande majorité de la population, disons, par plus de 70 %.
Les « constitutions de la peur », d’autre part, sont associées à Winston Churchill. Le Premier ministre britannique craignait que les gouvernements, même ceux qui étaient démocratiquement élus, n’abusent de leur pouvoir. Pour ceux qui pensent comme Churchill, les textes constitutionnels doivent nous protéger de ces (possibles) abus, des ingérences inacceptables et des contraintes autoritaires qui violent notre autonomie. Les constitutions, nous disent-ils, doivent être « protectrices », elles doivent établir un catalogue d’actions que l’État ne peut entreprendre, de politiques fermées, car leur mise en œuvre entraînerait une diminution de nos libertés personnelles.
La constitution chilienne de 1980 est essentiellement une « constitution de la peur ». Mais pour la comprendre, il faut reconnaître que toutes les peurs ne sont pas égales. Les peurs, comme tant de choses, sont circonscrites à leur moment historique. La constitution chilienne actuelle est, pour ainsi dire, fille de la guerre froide. Elle a été conçue pour protéger le pays de ce que ses rédacteurs considéraient comme la pire menace qui pesait sur les citoyens : le communisme.
Mais évidemment, le Chili n’est pas la seule constitution protectrice. Le Bill of Rights des États-Unis est peut-être le meilleur exemple d’un registre des droits adoptés à un moment historique précis, avec un sens protecteur. Ce sont dix préceptes qui protègent les citoyens des peurs churchilliennes, et des abus qu’ils ont connus pendant l’époque coloniale. Le troisième amendement est peut-être celui qui illustre le mieux ces peurs : « Aucun soldat ne peut… être logé dans une maison sans le consentement de son propriétaire… ». À travers les cristaux contemporains, cet amendement est absurde, presque risible. Personne n’imagine un peloton de Marines, armés jusqu’aux dents, cantonnés dans une maison privée.
Le projet constitutionnel rejeté le 4 septembre était sans aucun doute une constitution aspirante. Le texte reflétait les aspirations de divers groupes de militants, y compris les partisans du « nouveau constitutionnalisme latino-américain », les protecteurs des glaciers et des animaux de compagnie, et les défenseurs de la pluri nationalité. Le problème, bien sûr, est que le résultat a été un texte qui échappait au bon sens et qui a mis à rude épreuve notre histoire en tant que république. Les aspirations exprimées n’étaient pas celles de la grande majorité nationale. Ce qui a été rejeté, c’est un texte avec beaucoup d’aspirations identitaires promues par une élite instruite sous les canons de la « théorie critique », si à la mode dans tant d’universités.
Notre défi dans le nouveau processus constituant est de parvenir à une synthèse entre l’aspiration et la protection. Il est impératif de rédiger une constitution « de bon sens ». Un texte qui reflète nos aspirations à la tolérance et à l’inclusion, à l’égalité et au respect, à la liberté et à l’autonomie, à la décentralisation et à la protection de la nature, tout en nous protégeant des expériences traumatisantes du passé. Une constitution qui nous protège de la violence, de l’autoritarisme, des abus, du « qui ne danse pas ne passe pas », de la polarisation fratricide, des crises économiques, de l’inflation et du chômage.
C’est le défi du nouveau processus. Réaliser la synthèse qui nous permettra de vivre en harmonie, avec un objectif partagé par tous. Est-ce difficile ? Oui. Est-ce impossible ? Non. Pour ce faire, il faut faire preuve de détermination et de bonne volonté, discuter jusqu’à ce que ça fasse mal, respecter et écouter notre histoire, analyser les expériences de notre région et nous demander pourquoi l’Amérique latine est restée à la traîne. Si nous faisons tout cela, nous pourrons aller de l’avant et entrer pleinement dans la réconciliation nationale, si insaisissable.
Il serait particulièrement symbolique de le faire à l’occasion du cinquantième anniversaire du coup d’État. Cela nous permettrait de léguer à nos enfants et petits-enfants un pays où nous regardons tous dans la même direction. Le défi concret est que plus de 75 % des citoyens approuvent le nouveau texte lors du référendum de sortie. Cela peut sembler illusoire, mais quand on y pense, ce n’est pas le cas. Après tout, 70 % des députés, soit 109 sur 155, ont approuvé la réforme constitutionnelle qui a lancé le nouveau processus.
D’après Sebastian EDWARDS pour le Journal La Tercera (Chili)
Traduit par nos soins