Pour sa sortie en salle cette semaine, Diana Cardozo, la réalisatrice du film Estación Catorce, était invitée à une rencontre en avant-première au cinéma Le Lincoln, en partenariat avec Bobine Films.
Photo : Bobine Films
La chance des spectateurs de la séance du 8 novembre au Lincoln, dont nous étions, est d’avoir pu entendre la réalisatrice nous éclairer sur son œuvre. Pour le contexte, d’abord, Estación Catorce n’est pas un lieu fictif. Il existe bel et bien et se situe dans l’État de San Luis Potosí au Mexique, sur le passage d’un train qui a toute son importance dans le film. Le train donne un rythme, il s’agit d’une sorte de leitmotiv qui symbolise le danger, car il va à vive allure et qu’aucun passage à niveau n’est évidemment prévu. C’est aussi un élément du monde extérieur, mais aussi et surtout un rappel de la fugacité du temps, qui passe comme un train, vu ici à hauteur d’enfant, celle de Luis, protagoniste du film.
Naturellement, le thème du temps permet d’embrayer sur un autre, omniprésent : la mort. Selon Diana Cardozo, lorsque Luis remporte le défi lancé par ses amis de rester le plus longtemps possible sur le rail au passage du train, ce n’est pas si enfantin que cela. Il défie la mort, à laquelle tout le village a assisté récemment, dans la fusillade qui ouvre le film. Cette scène initiatique a fait l’objet de débats avec la réalisatrice, sur la violence et les traumatismes liés, qui sont une réalité quotidienne non seulement au Mexique, mais dans toute l’Amérique latine. En creux, les thèmes de la corruption, de la police et du narcotrafic sont évoqués.
Sans trop en dire, la fusillade qui a lieu au début du film conditionne tout le reste. Notamment, lorsque Luis et son père récupèrent un canapé de la maison des Hernández et de la vaisselle. Une dimension de classe sociale se dessine quand le papa dit que désormais, « ils pourront prendre le thé comme chez les Hernández ». Le canapé aussi est un marqueur social. C’est un beau meuble de marque, mais il finit par croupir dehors, souillé par les excréments des poules de la famille de Luis. Si l’image est marquante pour le spectateur, elle le fut aussi pour Diana Cardozo, qui avoue l’avoir trouvée en ouvrant une revue. Ainsi aurait germé l’idée du film.
En fait, dans ce film, Luis a plusieurs échappatoires pour rester un enfant : ses amis, compagnons de jeu et les animaux, les poules de la famille, bien sûr et le chiot. L’art de Diana Cardozo consiste à alterner entre les plans rapprochés sur Luis, sa famille et les animaux, parfois filmés en très gros plan, et les plans généraux, d’abord dans le village, puis à la mine voisine où travaille son père. La constante est ce regard à hauteur d’enfant, la caméra se trouve à sa hauteur. Toute la séquence où Luis et son père se rendent au village voisin de San Andrés pour tenter de vendre le canapé est tournée en plans généraux, dans un relief escarpé, vertigineux. On ressent très bien l’aspect hostile du décor et on vit la fatigue du père et du fils qui avancent tant bien que mal, en quête d’un peu de dignité.
La fragilité du père et du monde qui entoure Luis en général pourrait bien être le mot de la fin, même si chaque spectateur peut et doit se faire sa propre interprétation du film, que nous invitons chaleureusement à regarder, au Lincoln à Paris et dans toute la France ! Sortie en salles le 9 novembre.
Victorien ATTENOT
Estación catorce, drame de Diana Cardozo (Mexique), 1h29. Sortie en salles le 9 novembre.