Après 46 ans d’impunité, l’Argentine juge enfin l’ancien policier franco-argentin, Mario Sandoval, employé au département des affaires politiques de la SSF (Super intendance de sécurité fédérale de la police).
Photo : Pagina12
Mario Sandoval, 69 ans, est accusé d’avoir participé à la disparition d’un étudiant de 24 ans, Hernán Abriata, en octobre 1976, pendant la dictature militaire de 1976 à 1983. Il devrait écoper de 25 ans de prison. Exilé en France en 1985, après la chute de la junte militaire, afin d’échapper à la justice militaire qui avait rouvert l’enquête sur Hernán Abriata, Mario Sandoval en a obtenu la nationalité douze ans plus tard. Il s’y était bâti une nouvelle vie et était devenu expert académique sur les questions de défense et de sécurité. Il a enseigné à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEAL) à Paris, dirigé alors par Jean-Michel Blanquer. L’institution dépend de la Sorbonne.
Après des dizaines d’années d’impunité, une longue procédure d’extradition débutée en 2012 et validée par le Conseil d’État le 11 décembre 2019, et plusieurs reports, le procès Sandoval s’est finalement ouvert mercredi 14 septembre dans les tribunaux de l’avenue Comodoro Py, à Buenos Aires. Suspecté de plus de cinq cents crimes contre l’humanité durant la dictature militaire argentine, cet ancien sous-officier de la police fédérale n’est cependant jugé que pour l’enlèvement d’Hernán Abriata.
La mise en scène de l’enlèvement du jeune homme est identique à celle qui sera vécue par des milliers de disparus du régime. Cette nuit-là, le 30 octobre 1976, la famille d’Hernán est réveillée par une explosion, rue Superi, qui fait voler en éclats toutes les vitres de la maison. Dehors, des militaires sont postés tous les deux mètres, le long du mur mitoyen. Un commando de sept hommes en civil est à la manœuvre. Ils cherchent le jeune étudiant, dont l’engagement militant dans les Jeunesses universitaires péronistes le place d’office dans la catégorie des « subversifs » que poursuit la junte. Mais Hernán n’habite plus à cette adresse, il a emménagé quelques rues plus loin avec sa jeune épouse, Mónica Dittmar.
Convaincu qu’il s’agit d’une erreur, le père du jeune homme, Carlos, conduit une partie du commando chez son fils. Là, il est immédiatement cagoulé et menacé par plusieurs hommes armés qui l’ont assis sur une chaise, comme la jeune épouse d’Hernán. Cagoulé à son tour et menotté, Hernán Abriata est emmené dans un véhicule. À la tête de l’opération ce jour-là : Mario Sandoval qui présente même sa carte de policier à la famille.
Comme 30 000 autres Argentins, Hernán Abriata « disparaît » peu après. Des témoignages d’anciens détenus le situent à l’ESMA, l’école militaire de la marine, grand centre de détention clandestin qui servit de décor à des interrogatoires musclés et à des tortures. Carlos Loza, un ancien détenu survivant a croisé le jeune homme dans le sous-sol, où fut menée la séance d’interrogatoire, puis l’a côtoyé dans le grenier appelé « Capuchita » car les prisonniers y étaient cagoulés, enchaînés aux pieds et aux mains et jetés sur des litières. Ils n’avaient pas le droit de communiquer entre eux, mais ils le faisaient quand même au péril de leur vie.
Pour des raisons ignorées, il est envoyé quelque temps plus tard avec d’autres prisonniers dans une maison disposant d’un grand jardin, en banlieue de Buenos Aires. Les suppliciés sur le point d’être libérés y étaient souvent conduits pour y être remis en état après leur passage à l’ESMA. De là, il passera un appel à sa famille, le 20 novembre 1976, ce sera le dernier. Il est finalement renvoyé à l’ESMA. Carlos Loza raconte qu’en janvier 1977, ils sont sortis de « Capuchita » pour être battus car ils ont communiqué entre eux. Le 5 janvier 1977, ils sont ramenés, sauf Hernán, que personne ne reverra plus. On suppose alors qu’il a été « transféré » ce jour-là, car le mercredi était le jour des « vols de la mort » , ces vols où les prisonniers embarqués à bord d’un avion étaient jetés vivants dans l’océan, après avoir été drogués.
Convaincu de son impunité, Mario Sandoval plaide l’homonymie parfaite. Il affirme ne pas être l’un des participants à l’enlèvement d’Hernán Abriata, encore moins cet homme que des survivants de la période de la dictature pensent avoir identifié sous les surnoms de « Charrusco » ou de « Charruquito », impliqué selon eux dans des enlèvements d’opposants. « Nous espérons que la justice se fera enfin, 46 ans après les faits » a expliqué Mónica Dittmar, la veuve d’Hernán Abriata, aujourd’hui âgé de 70 ans. « Cela fait 8 ans qu’on se bat pour que ce procès ait bien lieu en Argentine. C’est mon souhait et c’est aussi celui de sa mère, Beatriz, qui à 95 ans n’attend plus qu’une chose, qu’on condamne Sandoval, le responsable de l’enlèvement de son fils ».
Natalia MARTIN