L’Espagne va présider l’Union européenne au deuxième trimestre 2023. L’Amérique latine va, dit-on avec une certaine insistance à Madrid, être en bonne place dans le cahier des charges européen présenté aux 27, avec la tenue d’un sommet bilatéral à Bruxelles. Cette initiative était sans doute prévisible. Madrid a dès son adhésion à la Communauté économique européenne, en 1986, pour des raisons historiques, comme nationales, joué ou tenté de jouer un rôle de pont entre les deux rives de l’Atlantique.
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Les choses, on le sait, n’ont pas toujours suivi le scénario prévu par le Palacio de Santa Cruz, le Quai d’Orsay ibérique. Bon an mal an, un réseau bilatéral s’était construit, ultérieurement élargi à l’Europe : Conférences ibéro-américaines en 1991 suivies par la création en 2005 du Secrétariat général des conférences ibéro-américaines, Dialogue euro-centraméricain de San José depuis 1984, Conférences euro-latino-américaines en 1999 et enfin Accords signés par l’Union européenne avec plusieurs pays latino-américains au fil du temps. Dans les années 1980, la transition démocratique espagnole avait été prise comme un modèle à suivre par les pays latino-américains sortant des dictatures militaires. L’intégration européenne avait ranimé les espoirs perdus d’union latino-américaine. Plusieurs structures intergouvernementales avaient alors été inventées, comme le MCCA (Marché commun centraméricain) ou le Mercosur.
La machine s’était grippée avec l’élargissement européen vers l’Europe centrale. Désormais unifiée, l’Allemagne avait tourné ses regards et ses appétences économiques vers l’Est. La France avait suivi le mouvement avec quelques écarts asiatiques et chinois. Les États-Unis avaient poussé à la roue, soucieux de retrouver une position maîtresse sur le « Vieux continent », grâce à la « soumission volontaire » de l’Allemagne et des nouveaux membres orientaux de l’UE et de l’OTAN.
Dès 2007, à la suite d’un accrochage verbal entre le roi d’Espagne Juan Carlos Ier et le président vénézuélien Hugo Chávez, au Chili, les sommets ibéro-américains étaient en rendements décroissants. Un nombre important de pays latino-américains ont pratiqué depuis cette date la chaise vide. Au point qu’en 2014, d’annuels les sommets sont devenus bisannuels. Très vite aussi les sommets UE/Amérique latine avaient perdu leur pertinence. Depuis 2015, les deux parties n’ont pas jugé utile de se retrouver. La dégradation persistante des rapports avec la Russie, le poids de plus en plus dominant de l’OTAN comme boussole commune, l’allant illibéral et anti-russe de plusieurs des nouveaux partenaires centre-européens, ont éloigné de façon durable l’Amérique latine de l’Europe.
Le 12 septembre 2022, l’Espagne a discrètement signalé dans sa présentation en société européenne de sa feuille de route présidentielle pour la fin 2023 son intention de ranimer les conférences euro-latino-américaines. Pedro Sánchez, président du gouvernement, essaie depuis 2019 de recentrer son pays en lançant des ballons d’essai en direction de l’Afrique, de la Méditerranée et de l’Amérique latine. Le passé colonial, la primauté donnée à la solidarité atlantique et européenne, lui laissent une étroite marge de manœuvre. Le haut responsable international de l’Union, Josep Borrell, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères, relaie le projet. Mais il est lui aussi contraint par d’autres priorités. Avec bien des difficultés il a pu effectuer un seul déplacement sur le terrain en novembre 2021.
Côté latino-américain, l’accueil a été mitigé. Le Mexique a été visité par Pedro Sánchez en janvier 2019. Sans grand effet. Bien que descendant d’Asturien, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a multiplié les fins de non-recevoir. Elles ont été publiquement fondées sur le refus espagnol de présenter des excuses pour la colonisation et la conquête d’Hernán Cortés. Président tournant de la CELAC (Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe) AMLO a gelé la proposition espagnole en 2020 et 2021. Le roi d’Espagne, dépêché en 2022 au Chili et en Colombie pour assister à la prise de fonction des présidents Gabriel Boric et Gustavo Petro, a été poussé à la faute par les protocoles de ces pays, et durement critiqué par la presse.
L’Argentin Alberto Fernández, qui a pris le relais à la tête de la CELAC le 8 janvier 2022, s’est montré plus allant. Il a décidé de soutenir l’idée de sommet bilatéral si Cuba, le Nicaragua et le Venezuela sont invités. Pedro Sánchez a donc visité en août 2022 la Colombie, l’Équateur et le Honduras. Accueilli comme président de la République espagnole au palais de Nariño à Bogotá, Pedro Sánchez a pu se montrer indulgent envers ses hôtes et faire oublier, photographié devant un portrait de Simón Bolívar, les supposés manquements du roi d’Espagne resté assis le 7 août précédent au passage de l’épée du « Libérateur ». Lula da Silva, en campagne présidentielle, curieux de connaître l’alpha et l’oméga de la réforme espagnole du travail, a sollicité le gouvernement de Pedro Sánchez qui lui a envoyé son ministre d’inclusion et de sécurité sociales, José Luis Escriva. On prête à Pedro Sánchez l’intention de briguer la présidence de l’Internationale socialiste qui tient congrès à Madrid les 25/27 novembre prochains. Il a participé à Genève les 7 et 8 juillet 2022 à une réunion préparatoire en présence de 16 délégations de partis latino-américains. Il n’est pas sûr que ce choix conforte les retrouvailles euro-latino-américaines de Bruxelles en décembre 2023. Ces formations en effet évoluent dans un spectre, au mieux, centriste. L’IS a été abandonnée par la plupart des partis socialistes démocratiques européens. Les chefs d’État qualifiés de gauche en Amérique latine, aujourd’hui au pouvoir, se sentent plus proches de Podemos que du PSOE. Le 12 juillet dernier, les présidents en exercice d’Argentine, Bolivie, Chili, Mexique et le président colombien élu, Gustavo Petro, ont adressé un télégramme de soutien à Pablo Iglesias, fondateur de Podemos, cible de fausses nouvelles dans son pays.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY