Le Chili encore vers une nouvelle constitution

Le dimanche 4 septembre dernier lors du référendumles Chiliens ont enterré majoritairement le texte de nouvelle Constitution, pourtant loué au niveau international. 7,8 millions de votants sur environ 13 millions, ont choisi l’option du rejet. Il semblerait que tout n’a pas été perdu et que la conduite de ce processus sous une autre forme pourrait aboutir à une nouvelle Constitution plus consensuelle. À suivre.

Photo : Prensa La Moneda

Un record qui est expliqué en partie par le vote obligatoire et l’inscription automatique dans les registres électoraux de tous les citoyens de plus de 18 ans. Des nouveaux votants issus de différents secteurs de la population et souvent « apolitiques » qui ne se déplaçaient pas pour aller aux urnes auparavant et inconnus par les instituts des sondages ont représenté à peu près 30 % des votants qui ont fait basculer la balance. Le verdict de ce vote au référendum est sans ambiguïté et a dépassé toutes les prédictions des instituts de sondage. 61,9 % des électeurs ont fait un trait sur l’option « rejet », contre 38,1 % (4,8 millions) favorables à la mention « approuve ».

Le chiffre de plus de 4.8 millions de suffrages est légèrement supérieur au nombre des voix que Gabriel Boric avait recueilli en novembre dernier pour devenir président de la République. Des Chiliens vivent une expérience inédite d’incompréhension et même de colère pour ceux qui pensaient que le texte constitutionnel pouvait mettre fin à 42 ans de la Constitution de la dictature de 1980 et qui acheminerait le pays vers la résolution des problèmes qui leur préoccupent : les pensions de retraite, le coût de la santé et l’éducation, le logement, l’endettement, la privatisation de l’eau, l’environnement. Ils pensaient se débarrasser de la chemise de force imposé par la Constitution actuelle et inaugurer une nouvelle ère.

Le rejet retentissant à ce vaste processus d’élaboration de la proposition constitutionnelle a été douloureux et fracturé encore plus le pays qui voit au lendemain de l’élection apparaître les manifestations de la jeunesse dans les rues de la capitale avec son lot de violence. C’est vrai, les chiffres sont stupéfiants, vertigineux et le choc terrible. Les prévisions plus pessimistes n’ont pas prédit un tel résultat. C’est aussi un coup très dur pour le gouvernement du président Gabriel Boric, qui avait fait le pari du triomphe du « oui ». Encore sous le choc, dans la soirée du dimanche 4 septembre, le jeune président avec un apparent calme a lu depuis le palais de La Moneda son message reconnaissant le triomphe du rejet au nouveau texte constitutionnel : « j’entends le message du peuple qu’il faut écouter » a-t-il dit et promis de construire le plus rapidement possible un nouveau processus constituant avec le Congrès national et la société civile. « Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel », a solennellement déclaré Gabriel Boric. Il a également annoncé des remaniements dans son équipe de gouvernement afin de faire face à la nouvelle situation avec « un souffle nouveau ».

Pour les partisans du non à la proposition de ce nouveau texte, après les éclats de joie pour l’heure est à la réflexion et aux calculs politiques car désormais, c’est sur eux qui pourrait reposer la conduite d’un nouveau processus où ils sont forts de leur majoritaire au Parlement et du résultat des urnes.

Quelle est la raison qui explique ce résultat surprenant ?

Le rejet provint rapidement de certaines personnalités politiques de centre et de centre gauche qui ont mis en cause la manière dont était conduite la convention est souligné les erreurs et cafouillages du début. Ils ont crie au ciel et dénoncé le risque de la suppression du Sénat, ont titillé sur la définition du Chili comme un État plurinational qui pouvait accorder de nombreuses prérogatives aux peuples indigènes mettant en cause l’unité nationale. Ils ont parlé de l’extension excessive du texte et de son « maximalisme », ils ont dénoncé les déclarations « triomphalistes » de quelques membres de la convention qui ont « fait preuve de d’arrogance et d’absence de réalisme ». De plus, certains analystes politiques ont critiqué la conduction des travaux et une posture non inclusive notamment vers les secteurs de la droite. Ils ont considéré même le travail trop « avant-gardiste et académiste » qui utilisé un « langage postmoderniste, clivant et militant », par exemple lorsqu’on parlait d’une « Constitution écologiste et féministe ».

Les acteurs engagés dans l’approbation de la nouvelle Charte fondamentale dans leurs calculs n’ont pas tenu compte du complexe et difficile contexte social et économique pour lequel traverse le pays : inflation et augmentation du coût de la vie, conflits dans la région de l’Araucanie entre les entreprises forestières et les communautés mapuches, la crise migratoire ainsi que la sensation d’insécurité des citoyens. Ces éléments ont poussé l’électorat à sanctionner le nouveau gouvernement à travers la votation du référendum.

De nouveaux droits sociaux avaient pourtant été pensés pour équilibrer une société aux fortes inégalités sociales, en proposant de garantir un droit à l’éducation, à la santé publique, à une retraite, ainsi qu’à un logement décent, pour ne plus les laisser aux seules mains du marché. L’inscription du droit à l’avortement, un sujet qui a fait débat dans le pays où l’interruption volontaire de grossesse n’est autorisée que depuis 2017 en cas de viol ou de danger pour la mère ou l’enfant, ou encore la reconnaissance de nouveaux droits aux peuples autochtones ont crispé les débats souvent houleux dans une campagne baignée dans un climat de désinformation. Cette volonté de changement, de refondation – terme qui a fait très peur, n’a pas été comprise et balayée par l’immense rejet qu’inspirait le texte.

En effet, les sondages annonçaient le triomphe du rejet de la nouvelle Charte fondamentale mais jamais personne n’imagina la brèche profonde entre le vote pour l’approbation et celui du rejet. À l’analyse de la votation par régions, on constate que l’option « Apruebo » n’a gagné en aucune région du pays. Depuis qu’on a connu les premiers résultats dans la région de Magallanes – d’où est originaire le Président Gabriel Boric, qui avait voté à plus de 60 % lors du deuxième tour de novembre dernier pour son élection, on a pressenti que les choses allaient mal se passer pour l’option favorable au nouveau texto constitutionnel. Même dans la capitale, bastion d’un vote progressiste et qui avait voté à 55 % pour le candidat Gabriel Boric lors des élections présidentielles, le rejet s’est imposé. Il l’a importé y compris dans les territoires populaires ayant toujours voté plutôt à gauche.

Mais un des facteurs qui ont joué un rôle fondamental dans le résultat du référendum constitutionnel est le pouvoir immense des médias chiliens sous le contrôle de la famille Edwards et l’influent journal El Mercurio (journal de droite) qui a entre autres soutenu pour ne pas dire monté le mouvement des Amarillos pour le non à la nouvelle constitution. Les pages de la presse papier ont monté en épingle toutes les erreurs de la Convention constituante. Il faut savoir que le Chili est l’un des pays où existe la plus grande concentration des moyens de communication. La famille Edwards depuis les années soixante-dix et Copesa, groupe de presse propriétaire entre autres du journal La Tercera, plus tard, détiennent la plus grande quantité de participation des chaînes de télévision. La Presse indépendante connaît des graves difficultés et une grande précarité.

L’avenir

Il commence par une nouvelle phase pour l’exécutif, affaibli, devant maintenir et même accélérer sa feuille de route et relancer le nouveau processus constituant. La droite et une partie du centre-gauche – un peu hétéroclite issu de certaines dissidences du socialisme et de la démocratie chrétienne, soutenus médiatiquement par le puissant journal El Mercurio et des chaines de télévision – ont réussi à convaincre la société chilienne que le texte fondamental proposé par la convention constituante était « un mauvais texte » et l’émanation du gauchisme.

Ces secteurs ont exigé immédiatement un ajustement ministériel six mois à peine après le mandat présidentiel. Ce fut chose faite mardi 6 septembre. Un de ses compagnons de route, Georgio Jackson, représentant de la nouvelle génération de la nouvelle gauche issue du mouvement étudiant, son ministre de confiance du premier cercle du pouvoir fut écarté du Secrétariat de la Présidence et nommé au Ministère de développement sociale et sa cheffe de campagne devenue ministre de l’Intérieur Izkia Siches fut remerciée et remplacée par une figure du Socialisme démocratique relations avec le Congrès, fut pour sa proximité avec le président Boric qui avait dû céder au protagonisme du Socialisme démocratique (ancienne Concertation démocratique ayant gouverné pendant 30 ans). Une figure historique de l’ancienne Concertation, députée et ayant été ministre lors du premier mandant de l’ancienne présidente Michèle BacheletCarolina Tohá, arrive à l’Intérieur à la place de Iskia Siches très critiquée par les secteurs de la droite. La nouvelle ministre de l’Intérieur est la fille de José Toha, mort en prison sous la torture, ministre de l’Intérieur de l’ancien président Salvador Allende. Un peu plus de cinquante ans après elle est à l’Intérieur comme son père et doit faire face aux sérieux problèmes de sécurité du pays : conflits et délinquance dus au narcotrafic, crise migratoire, affrontements dans la région du Sud sur les territoires Mapuches entre forestières et communautés indigènes où des maffias de deux côtes rendent la situation de plus en plus incontrôlable.

Les déclarations et réunions politiques se sont succédés depuis dimanche dernier. Le président Gabriel Boric a initié le mouvement convoquant à une réunion à La Moneda tous les partis politiques afin d’assurer « la continuité du processus constituant » dans « dialogue transversal ». Dans cette nouvelle étape, le Parlement jouera à nouveau un rôle prépondérant, c’est ce que souhaite ardemment la droite car elle est majoritaire. Mercredi 7 dernier a eu lieu dans le Sénat à Valparaíso, le premier rendez-vous formel entre les partis y compris les Républicains (droite) et le Parti Communiste, c’était la première fois depuis des décennies qu’autour d’une table ils s’y retrouvaient.

L’idée est que lundi prochain chaque parti politique, comme l’a déjà fait le Socialisme démocratique, présente sa proposition sur les modalités, les contenus et les échéances d’une nouvelle proposition de Constitution. Pour l’instant, il aurait un consensus pour ne pas abandonner le processus entamé depuis la révolte d’octobre 2019 et pour organiser l’élection d’une nouvelle Convention en 2023 après l’été austral. Il semblerait que tout n’a pas été perdu et que la conduite de ce processus sous une autre forme pourrait aboutir à une nouvelle Constitution plus consensuelle. À suivre.

Olga BARRY

Lire aussi l’article de la revue Esprit de cette semaine sur le Chili