Lundi 22 août 2022, la vice-présidente argentine Cristina Fernández Kirchner, icône de la gauche péroniste, a été condamnée à douze ans de prison, ainsi qu’à l’inéligibilité à vie, dans un procès à distance et en son absence, pour association illicite et administration frauduleuse aggravée par sa qualité de chef et sa condition de fonctionnaire publique, portant sur des attributions de marchés publics dans son fief de Santa Cruz (Sud), pendant ses deux mandats présidentiels de 2007 à 2015.
Photo : Infobae
La leader de la gauche péroniste, Cristina Fernández Kirchner, est mise en cause dans une affaire appelée Vialidad qui porte sur des irrégularités supposées datant de plus de quinze ans. L’accusation considère que Cristina Kirchner était à la tête de cette association, secondée par son ministre d’alors des Travaux Publics, Julio de Vido, et le secrétaire du même portefeuille, José López. À la base de la pyramide était placé Lázare Báez, un chef d’entreprise de la construction qui a travaillé sur 80 % des travaux d’infrastructures de la province de Santa Cruz, berceau politique de l’ex-présidente et de son mari Néstor Kirchner, lui aussi président, de 2003 à 2007. Des peines de deux à douze ans de prison ont été requises contre les douze coaccusés, notamment douze ans contre Lázare Báez, déjà condamné l’an dernier à douze ans de prison dans une affaire distincte d’évasion de capitaux vers des paradis fiscaux. Julio De Vido est également mis en cause.
Avant d’annoncer son réquisitoire contre Cristina Kirchner, le procureur Diego Luciani a déclaré aux juges qu’ils auront le dernier mot sur la question de savoir si c’est “la corruption ou la justice” qui prévaut. Luciani a mis en avant que dans son rôle de chef de l’organisation, Cristina Kirchner a maintenu un mécanisme de corruption institutionnel pendant douze ans. Il soutient en outre que cette structure a été montée par son mari, Nestor Kirchner, après avoir converti Lázare Báez, ex-employé de banque sans expérience dans la construction, en un sous-traitant à qui on allait confier les travaux publics de Santa Cruz pour des milliers de millions de pesos. Il signala qu’ensuite, une partie de cet argent, une fois blanchie à travers le paiement de supposés contrats de loyers hôteliers, retournait dans le patrimoine présidentiel. « Il s’agit de la plus grande manœuvre de corruption que l’on ait connue dans le pays », a déclaré Luciani et il a signalé que les « personnes impliquées ont soustrait les fonds des finances publiques pour les transformer en profit personnel, adoptant les mesures pour le faire en toute impunité, neutralisant les mécanismes de contrôle ». Et il souligna que « la corruption a été la règle, l’État de droit a été mis en retrait et ce déséquilibre doit être réparé par ce jugement avec une juste sentence. La règle doit être l’État de droit et la Constitution, non la corruption ». La fraude présumée contre l’État de Cristina Kirchner aurait coûté au pays environ un milliard de dollars, selon lui.
Vice-présidente et présidente du Sénat depuis 2019, Cristina Kirchner bénéficie d’une immunité politique que seule la Cour suprême pourrait lever si elle venait à confirmer une éventuelle condamnation. Faute de quoi, elle pourrait se présenter aux élections législatives et présidentielles de fin 2023, même si, à ce jour, elle n’a pas encore révélé ses intentions. Sa candidature à la présidence semble toutefois compromise par cette affaire, seules les élections sénatoriales pourraient lui permettre de conserver son privilège d’immunité. Selon le calendrier, après les réquisitions, ce sera au tour des plaidoiries de la défense début septembre, dans cette procédure ouverte en 2019, mais qui avait été suspendue par la pandémie de Covid-19. Elles devraient s’étirer sur plusieurs mois, le jugement ne devrait être rendu que vers fin 2022 et pourrait encore faire l’objet d’un appel.
Figure de la gauche péroniste, populiste pour ses détracteurs, Cristina Kirchner a été mise en cause ces dernières années dans une dizaine de procédures distinctes, entre pots-de-vin, blanchiment de fonds, préjudice spéculatif contre l’État ou entrave à la justice. Elle a bénéficié de plusieurs non-lieux, dont deux fin 2021, et cinq procédures restent en cours. La probabilité d’une condamnation de Cristina Kirchner a immédiatement donné lieu à des appels à la mobilisation émanant de politiciens et de mouvements péronistes radicaux. Ces appels pourraient annoncer des manifestations tendues, en plus de celles qui chaque semaine, protestent à Buenos Aires contre le coût de la vie et l’inflation galopante (71 % sur un an). Ainsi, dès l’annonce du réquisitoire, des manifestations spontanées ont rassemblé plusieurs centaines de ses partisans mais aussi des opposants, aux abords de son domicile, dans le quartier de Recoleta à Buenos Aires. Alors que des opposants célébraient le réquisitoire en brandissant des drapeaux argentins et en tapant sur des casseroles, des partisans de Cristina Kirchner, plus nombreux, scandaient en réponse des slogans de soutien à la vice-présidente. Des bousculades ont eu lieu entre les deux groupes et la police a dû faire usage de gaz lacrymogènes. Dans son réquisitoire, le procureur Diego Luciani a dénoncé « un authentique système de corruption institutionnel, probablement la plus grande opération de corruption qu’ait connue le pays ». L’autre représentant du ministère public, Sergio Mola, a évoqué « des irrégularités systématiques dans cinquante et un appels d’offres sur douze ans ».
Cristina Kirchner est accusée d’avoir dirigé un complot qui consistait à attribuer cinquante et un contrats de travaux publics pour des travaux routiers à Lázare Báez dans le sud de la province de Santa Cruz. Beaucoup de ces travaux publics n’ont jamais été achevés. Selon les procureurs, Báez, ancien employé de banque devenu magnat des travaux publics, a créé la société Austral Construcciones peu de jours avant l’élection au premier mandat de Cristina Kirchner, afin de remporter des appels d’offres publics. Quand Cristina Kirchner cesse d’être présidente, l’entreprise se délite. Bien que Kirchner ait déjà fait face à de nombreuses accusations de corruption pour des événements survenus pendant son mandat, c’est la première fois qu’un procès contre l’ancien président est allé aussi loin au point d’inclure un procureur demandant officiellement une peine. L’accusation a estimé les pertes totales causées à l’État à 5,2 milliards de pesos (38 millions de dollars au change officiel). À maintes reprises, Cristina Kirchner, qui nie les faits reprochés, a dénoncé que la sentence était déjà écrite et qu’elle était la victime d’un procès contre le péronisme, et d’une persécution politique par une justice qui selon elle est instrumentalisée par l’opposition de droite. Il s’agit là d’une réaction normale dans un pays où l’opposition et le gouvernement se renvoient régulièrement l’accusation de « guerre judiciaire » et d’instrumentalisation de la justice.
Dès le lundi soir, dans un tweet, Cristina Kirchner a accusé les procureurs d’avoir « bâti leur accusation sur des questions qui n’avaient jamais été soulevées » dans l’acte initial. Elle a dénoncé un « peloton d’exécution médiatico-judiciaire », auquel elle a dit qu’elle répondrait sur le fond mardi via les réseaux sociaux, après s’être vu refuser lundi le droit à une déposition additionnelle, « violation des principes du droit de défense ».
Les manifestations
Dès l’annonce des peines réclamées à son encontre, des dizaines de marches ou rassemblements de soutien à la vice-présidente dans plusieurs villes d’Argentine ont été initiés par des mouvements, syndicats, partis affiliés à la coalition de centre gauche au pouvoir, Frente de Todos, ou du Parti justicialiste (péroniste). À Buenos Aires, ses partisans se sont rassemblés à Recoleta, près du domicile de la vice-présidente. Au cours du samedi, l’ex-présidente avait questionné, à travers une publication sur les réseaux sociaux, pourquoi la Ville avait posé une clôture au petit matin, encerclant totalement sa maison et empêchant sa libre circulation. Et elle ajouta : « Ils veulent empêcher les manifestations d’amour et de soutien absolument pacifiques et bon enfant, qui ont lieu face à la persécution non dissimulée du pouvoir judiciaire ». De son côté, dans une conférence de presse, Horacio Rodríguez Larreta, chef de gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires, a défendu l’action de la Police de la ville qui a « évité que ne s’affrontent des groupes opposés » lorsque des pro et anti-Kirchner ont spontanément convergé au même endroit. « Une manifestation est une chose mais une occupation organisée de l’espace public en est une autre.» a-t-il lancé, dénonçant les manifestations de soutien devenues au fil de la semaine un « campement permanent » empêchant toute vie normale dans le quartier. Il a demandé à la vice-présidente de prendre ses responsabilités en appelant au retrait pacifique de la zone.
Dans la soirée du samedi 27 août, sur une estrade montée près de son domicile, la vice -présidente a adressé un message à la foule venue la soutenir, après les affrontements d’une journée très tendue. Elle a maintenu ses critiques contre le chef du gouvernement de Buenos Aires concernant la clôture des alentours de son domicile, visant à empêcher la libre circulation et concernant l’affrontement enregistré ce samedi contre les manifestations. La vice-présidente a ensuite remercié les manifestants qui se sont mobilisés en différents points du pays et elle a refait allusion aux incidents du jour. « Le seul endroit où il y a eu des scènes de violence a été dans la ville de Buenos Aires, et à la porte de ma maison, provoquées par ce qui s’appelle la haine contre la joie et l’amour des péronistes ». Elle déclare que les expressions de soutien reçues ces derniers jours se sont réalisées sans violence et elle a récusé les plaintes des voisins, qui ont dénoncé les incidents sur la voie publique : « les gens ici manifestent pacifiquement et joyeusement ». Elle a également évoqué les « agressions et les menaces de mort » qu’elle subissait. « Depuis mardi, celle qui vous parle est harcelée en permanence par des gens qui viennent l’insulter et la menacer de mort. Je n’ai jamais vu la police municipale intervenir », a-t-elle ajouté. « Je suis aussi une citoyenne et je paie mes impôts comme tout le monde », a-t-elle déclaré dans une critique du gouvernement de la ville de Buenos Aires.
Elle a aussi lancé un appel à l’opposition, à propos des prochaines élections, et lui a demandé de ne pas engager une compétition de « haine ». « L’opposition se dispute à qui détestera le plus le péronisme » a-t-elle considéré. « Nous devons demander à l’opposition, surtout maintenant que nous approchons de la nouvelle campagne présidentielle, qu’elle cesse de concourir entre ceux qui détestent le plus ou qui frappent le plus sur les péronistes. Qu’ils oublient cela ». Dans la même ligne, elle a signalé que punir les mobilisations et les manifestations populaires n’avait jamais abouti à rien dans ce pays. Dans un autre point du discours, elle a demandé à éviter les « expériences » que la société pourrait ensuite « regretter ». « Il a coulé assez de sang en Argentine pour que l’on continue à menacer avec des tirs, des balles, du gaz lacrymogène ou du gaz poivré, ceux qui pensent différemment » a-t-elle lancé.
Enfin, elle a remercié la « loyauté » des manifestants qui se sont rassemblés au cours de ces derniers jours autour de sa résidence et qui ont maintenu un campement, après qu’a été annoncée la demande de condamnation à son encontre. « Même si je vivais mille ans, je n’aurais pas assez de temps pour vous remercier pour l’affection, la solidarité et l’amour de vous tous. Croyez-moi, qu’à ce stade de ma vie, il n’y a rien de plus important que cela », a-t-elle signalé. Finalement Cristina Kirchner a demandé aux militants de partir se « reposer ». « Je voudrais vous remercier et vous demander que nous allions nous reposer parce que cette journée a été longue. Un grand merci à tous », a-t-elle conclu. À suivre.
Natalia MARTIN