José Falero est né à Porto Alegre en 1987 dans une des favelas qu’il décrit. Comme ses personnages, il a travaillé dans un supermarché, puis sur des chantiers de construction. Il a abandonné l’école à quatorze ans, repris des cours pour adultes à trente-quatre ans et s’est mis à écrire…
Photo : Ed. Métailié
Deux hommes se partagent la vedette, avec, en arrière-plan, deux ou trois comparses, dont M. Geraldo, le directeur d’un supermarché dans un quartier un peu bourgeois de Porto Alegre. M. Geraldo soupçonne deux de ses rayonnistes, autrement dit des hommes à tout faire dans l’établissement, Pedro et Marques, de lui choper diverses marchandises dans la réserve, mais il a des scrupules à les mettre à la porte. Il n’a aucune preuve contre eux et, en plus, ce sont les meilleurs professionnels de son équipe. Pedro est un grand lecteur, de Marx en particulier, et Marques est un auditeur consciencieux des discours de son collègue et ami.
La théorie sur le fonctionnement de l’économie moderne et mondiale énoncée par Pedro est un modèle qu’on devrait imposer dans les écoles spécialisées à former ceux qui s’intituleront économistes, qu’on lit dans les revues sérieuses, qu’on entend à la radio, qui se plantent la plupart du temps (et pas qu’un peu) dans leurs prévisions. Mais une théorie ne suffit pas, il faut passer à la pratique et enfin accéder à la richesse (Marx a-t-il été correctement digéré ?). Or passer à la pratique est facile : ils vendront de la marijuana. Le hic, qui apparaît dès le premier jour de l’entreprise, c’est d’appliquer la belle théorie de Pedro et son concept social, voire carrément socialiste (l’égalité, la confiance, etc.) qui se révèle d’une complexité inattendue et insoluble.
Sous des aspects de comédie constamment drôle par ses situations et surtout son langage, José Falero dresse très habilement un tableau désabusé de la société brésilienne (pas seulement brésilienne, d’ailleurs), les inégalités sociales, le rapport à l’argent, ce qu’on nomme la réussite, le regard des autres. Si l’auteur semble ne plus se faire aucune illusion sur les réalités économiques mondiales et régionales, il s’en amuse avec une ironie, un humour cynique qui est une des grandes réussites du roman. Un autre mérite est la langue utilisée, celle des jeunes néo-délinquants, brillamment traduite dans un français plein de saveur populaire, la tchatche convaincante de Pedro et la lourdeur sympathique de Marques qui refuse, proteste, consent, accepte et finit plus enthousiaste encore que son pote : deux hommes, pas des héros, quoique…
Quant aux arguments longuement exposés par Pedro, ils sont déroutants, tordus, mais leur conclusion est finalement d’une évidence confondante. Pedro décidément est un véritable philosophe doublé d’un économiste doué.
Alors, la morale dans tout ça ? Supermarché oblige à rire en la laissant de côté. Il n’est ni amoral ni immoral, il est extra moral ! Tout en débordant d’humour, il est aussi purement social, chaque chapitre offre une surprise, les émotions ne manquent pas, l’émotion tout court non plus. Oui, on est clients de ce Supermarché, révélation de cette rentrée littéraire de 2022. Un pur plaisir qu’on n’a pas volé !
Christian ROINAT
Supermarché, traduit du portugais (Brésil) par Hubert Tézenas, Éd. Métailié, 336 p., 22 €.
José Falero en portugais : Os supridores, ed. Todavia, São Paulo.