Nous suivons Miguel Bonnefoy de près depuis Le Voyage d’Octavio, édité depuis toujours par les éditions Rivages et qui nous séduit avec son nouveau roman L’inventeur, sur un professeur de mathématiques qui découvre, à l’époque de Napoléon III, l’énergie solaire. Nous reproduisons aussi une interview de France Info par la journaliste Laurence Houot.
Photo : Editions Rivages
France, milieu du XIXe siècle. Voici l’étonnante histoire d’Augustin Mouchot, fils de serrurier de Semur-en-Auxois, obscur professeur de mathématiques, devenu inventeur de l’énergie solaire grâce à la découverte d’un vieux livre dans sa bibliothèque. La machine qu’il construit et surnomme Octave séduit Napoléon III et recueille l’assentiment des autorités et de la presse. Elle est exhibée avec succès à l’Exposition universelle de Paris en 1878. Mais l’avènement de l’ère du charbon ruine ses projets que l’on juge trop coûteux. Après moult péripéties, dans un ultime élan, Mouchot tente de faire revivre le feu de sa découverte sous le soleil d’Algérie. Trahi par un collaborateur qui lui vole son brevet, il finit dans la misère, précurseur sans le savoir d’une énergie du futur.
Après avoir reçu le Prix des libraires pour Héritage (2020), une épopée familiale entre la France et le Chili, Miguel Bonnefoy publie dans cette rentrée littéraire 2022 un nouveau roman réjouissant sur la vie d’Augustin Mouchot (1823-1912), un savant méconnu, un génie incompris, qui inventa au 19e siècle la première « machine » à énergie solaire, qu’il baptisa Octave. D’une écriture rabelaisienne, l’écrivain brosse le portrait de ce personnage fantasque, embarquant le lecteur dans les péripéties d’une existence en forme de montagnes russes.
Octave
Augustin Mouchot naît le 7 avril 1825 à Semur-en-Auxois, dans l’atelier de serrurerie de son père Saturnin. Dernier né d’une fratrie de six, l’enfant, fragile, délicat, toujours malade, n’a pas la force de travailler dans la serrurerie. Sa mère, notant ses aptitudes intellectuelles, le conduit à l’école. Après une scolarité sans passion, et quelques maladies, Augustin Mouchot décroche le bac. Il commence comme instituteur puis devient professeur de mathématiques. En 1860, en poste à Alençon en Normandie, il découvre dans l’appartement qu’il occupe un livre sur la chaleur solaire. Sa vocation est née. Alors que toute l’Europe carbure au charbon, le professeur de mathématiques se lance dans la construction d’une machine à énergie solaire, qu’il baptise Octave.
D’essais en essais, de démonstrations foireuses en succès confidentiels, son invention finit par intéresser Napoléon III. Mouchot embarque même pour l’Algérie pour peaufiner son invention, et fait sensation lors de l’exposition universelle à Paris en 1878, en fabriquant un bloc de glace avec la chaleur du soleil. Mais la trahison d’Abel Pifre, son plus proche collaborateur et la concurrence du charbon ont raison de son invention. Le pauvre bougre finit sa vie dans la misère, affublé d’une épouse obèse, autoritaire et malhonnête.
« Prométhée moderne »
D’une plume virevoltante et picaresque, Miguel Bonnefoy nous embarque dans le destin de ce Don Quichotte de l’énergie solaire, brossant le portrait d’un être solitaire, obsessionnel, pathétique dans sa vie d’homme accablé par les maladies, mais flamboyant dans sa quête scientifique. Le récit façonné de moult détails et d’une grande vivacité, donne l’impression que le romancier s’est glissé tel une petite souris dans l’époque et dans l’intimité d’Augustin Mouchot. L’écrivain franco-vénézuélien confirme avec ce nouveau roman son talent de conteur. Il nous réjouit de son écriture visuelle et burlesque, et redonne avec cette biographie réinventée la place que mérite ce visionnaire, ce « Prométhée moderne » mal compris, relégué aux oubliettes de l’histoire.
Laurence Houot (France Info) : Comment l’idée vous est-elle venue de raconter l’histoire de cet inventeur méconnu ?
L’idée m’est venue en regardant une série documentaire consacrée à l’astrophysique. Dans l’un des épisodes, ils parlaient de la fabrication d’un bloc de glace avec une machine solaire inventée par Augustin Mouchot dans l’exposition universelle en 1878. En cherchant, je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien sur lui, qu’aucun livre n’avait jamais été consacré à cet inventeur pourtant fascinant.
Comment vous êtes-vous documenté ?
J’ai effectué des recherches pendant deux ans pour compléter cette vie dont on ne sait pas grand-chose. J’ai rencontré un archiviste, Georges-François Pottier, auteur d’un article de 14 pages sur Mouchot. Il m’a conseillé puisqu’il n’y avait rien directement sur lui, de « chercher autour Mouchot », de chercher dans tout ce qui gravite autour de lui, de chercher dans son environnement, de le cercler. J’ai donc fouillé dans les archives du lycée où il enseignait, dans les archives coloniales, ou dans celles de l’exposition universelle de 1878, mais aussi dans celles de la ville où il est né, et de celles où il a vécu.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce personnage ?
Ce qui m’a intéressé, c’est le paradoxe de cet homme de l’ombre, tourné toute sa vie vers le soleil. Ce petit moucheron maladif, qui essaye de conquérir l’astre le plus grand, le plus puissant. C’était intéressant de jouer avec ces contradictions entre l’ombre et la lumière, entre la froideur du personnage et la chaleur du soleil. On ne lui connaît aucun ami. Il ne s’est marié qu’à la toute fin de sa vie, et plus par commodité que par amour. Il n’a jamais voyagé, à part son déplacement en Algérie pour travailler sur sa machine. Mouchot ne s’intéressait à rien d’autre qu’à son sujet, l’énergie solaire, alors que les savants de son époque s’intéressaient à toutes sortes de choses. Lui était persévérant. Un obsessionnel. Augustin Mouchot était vraiment un personnage de l’ombre. Il n’y a d’ailleurs qu’une seule photographie de lui, aucune de lui avec sa machine, alors qu’à l’époque, tout le monde se faisait photographier. Augustin Mouchot était un personnage « oxymorique », plein de contradictions, Et là où il y a contradiction, il y a matière à récit.
Comment avez-vous travaillé la personnalité, le caractère de votre personnage ? Ce sont des choses qui ne se trouvent pas dans les archives, si ?
J’ai découvert dans les archives de l’instruction publique qu’il était très souvent absent, qu’il enchaînait les maladies. En fait Mouchot a dû passer la moitié de sa vie au lit, malade. A moins que ces absences aient été des prétextes pour travailler à son œuvre… Bref, en tous cas, je me suis dit que j’allais en faire un personnage maladif, que cela irait parfaitement dans le sens de mon idée de paradoxe.
Comment avez-vous entrelacé le vrai avec la fiction ?
Ce sont des petites choses glanées pendant l’enquête littéraire qui déclenchent les choses. Avec les dialogues, les sentiments des personnages, j’ai essayé comme disait Flaubert de rechercher un « effet de réel ». On dispose de toute cette manière, de toute cette documentation, et on essaie d’en faire quelque chose. J’ai tenté de remplir les vides de sa vie par la fiction, tout en respectant le pacte narratif, un récit vraisemblable, avec le lecteur. Mais parfois la réalité dépasse la fiction. La fin de la vie de Mouchot, par exemple, peut paraître inventée, mais tout est vrai. J’ai retrouvé sur Gallica, dans les périodiques de l’époque, une enquête faite par un jeune journaliste, titrée Augustin Mouchot le séquestré. Le journaliste était allé enquêter au 56 rue de Dantzig et c’est bien comme cela que Mouchot a fini sa vie. J’ai même découvert que le président Clémenceau s’est intéressé à cette histoire de séquestration. Là j’ai dû brider la réalité pour que cela reste vraisemblable… J’avais une somme énorme de documentation. Avec des choses incroyables, comme le fait que Mouchot a partagé un temps l’atelier de Foucault, et qu’il aurait endommagé son premier pendule avec sa machine solaire… Mais je n’ai pas gardé cet épisode. Je voulais rester sur mon fil narratif.
Comment avez-vous travaillé la langue, l’écriture de ce livre ?
J’ai énormément travaillé la forme. J’ai travaillé sur la couleur, comme avec un nuancier, une palette. J’ai essayé de conserver une fluidité au texte, et j’ai donc fait surtout du dégraissage. La langue, j’ai essayé de la rendre « pulpeuse », en dépit du caractère acide, métallique, froid de Mouchot et j’ai joué avec le champ lexical des machines, pour rendre tout cela plus baroque. Je ne me suis pas non plus interdit quelques envolées lyriques, sur l’épisode en Algérie par exemple… Je voulais que mon livre soit romanesque, qu’il ne ressemble surtout pas à une biographie.
Pensez-vous que votre livre redonnera à Mouchot la place qu’il mérite ?
J’ai rencontré une des descendantes d’Augustin Mouchot, Marianne Mouchot, une arrière-arrière-petite fille de son frère. Elle est linguiste et travaille pour Larousse. Elle m’a confié qu’elle essaye depuis des années de le faire inscrire dans le dictionnaire, mais sans jamais réussir, faute de documentation. Elle m’a dit qu’elle espérait que mon livre aiderait à l’y faire entrer…
Service de presse Payot
Interview de Laurence HOUOT (France Info)
L’inventeur, de Miguel Bonnefoy (Rivages, 17 août 2022, 208 pages, 19,50 €)