Le nouveau « super-ministre » de l’Économie a annoncé, mercredi 3 août, au cours de la conférence de presse qui a suivi son investiture, les premières mesures pour redresser le pays. Pour le président Alberto Fernández, Sergio Massa représente la dernière munition du péronisme pour neutraliser la crise.
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La tâche de Sergio Massa se révèle toutefois très compliquée : sortir la troisième puissance économique d’Amérique latine de l’effondrement dans lequel elle se trouve. En effet, l’Argentine a l’un des taux d’inflation les plus élevés au monde, à 36,2 % au premier semestre 2022. La pauvreté touche 37 % de ses 47 millions d’habitants. Dans un contexte de revendications sociales croissantes en raison de la détérioration du pouvoir d’achat due à cette inflation galopante, réduire le déficit des finances publiques de 3 % du PIB en 2021, à 2,5 % en 2022, 1,9 % en 2023 et 0,9 % en 2024 se révèle une tâche difficile.
« Nous devons résoudre ce double visage de l’Argentine, qui connaît une croissance de 6% par an et génère de l’emploi, mais qui a un énorme manque de confiance dans sa monnaie, un désordre dans les dépenses, des lacunes dans les investissements publics et une énorme injustice dans la distribution des revenus », a souligné le nouveau ministre. Il s’est donc engagé à réduire le déficit budgétaire, à s’attaquer à l’inflation et à reconstituer les réserves de la Banque centrale d’Argentine.
L’axe central de son programme est de soutenir le peso, de reconstituer des réserves et de réduire drastiquement le déficit budgétaire. Il n’y a aucune grande nouveauté dans ses mesures. Son objectif est conforme à ce qu’exige de l’Argentine le FMI depuis janvier 2022, lorsqu’a été signé un accord pour refinancer une dette de 44 000 millions de dollars. « J’ai lu que j’étais le sauveur, le remède miracle ou le super-ministre. Je ne suis ni un magicien ni un sauveur, je suis venu pour travailler » déclara Massa au début de sa conférence de presse.
Il a ensuite énuméré une à une les mesures qui seront les « premières » d’une longue liste qui se complétera au fil des prochaines semaines. En termes généraux, le nouveau ministre fixa comme principes de sa gestion : « l’ordre budgétaire, le renforcement des réserves et l’excédent commercial. » Comme « moteurs » de ces objectifs, il a insisté sur « l’investissement, la production, les exportations et la défense du marché intérieur. »
Pour relancer la troisième économie d’Amérique latine, son plan prévoit une plus grande exploitation des ressources énergétiques, ainsi que du lithium dont l’Argentine est le quatrième producteur mondial, et la relance de la production agricole, principale source de devises du pays. « Nous allons respecter l’objectif de 2,50 % du déficit budgétaire du Produit intérieur brut (PIB) convenu avec le FMI. Nous allons procéder à toutes les corrections nécessaires pour tenir notre engagement » a-t-il déclaré après avoir prêté serment.
Il a donc promis de combattre l’inflation qu’il a qualifiée de « plus grande fabrique de pauvreté du pays ». Pour cela, il a promis qu’il ne toucherait pas au solde d’avances de la Banque centrale pour le reste de l’année, que l’accord avec le FMI a limité à 1 % du PIB. « Nous n’allons pas demander davantage d’émission de monnaie pour nous financer, nous allons nous arranger avec ce que nous avons et avec le financement privé » a-t-il énoncé parmi les annonces essentielles du paquet de mesures.
Réduire l’émission de monnaie est l’arme qu’il utilisera pour contrôler l’inflation qui a augmenté de plus de 80 % en un an, selon les projections les plus optimistes. Pour renforcer les réserves de devises internationales, mesure clef pour soutenir la parité du peso, le ministre a annoncé le versement de 7 000 millions de dollars à la Banque centrale, dont 5 000 millions proviendront des exportateurs industriels qui retenaient la liquidation de leurs ventes et avec lesquels il a passé un accord. Le solde proviendra des crédits avec des organismes internationaux. Il y aura en même temps, un report des échéances de la dette en pesos dans les trois prochains mois pour lequel il a déjà recueilli l’adhésion de 60 % des détenteurs de bons.
Le plan prévoit aussi le gel de l’embauche de fonctionnaires. Mais le principal défi sera la réduction des aides que verse l’État aux entreprises productrices de gaz et d’électricité, ce qui supposera une augmentation des tarifs pour les foyers domestiques. Le gouvernement avait déjà mis en place un système de répartition des subsides selon les revenus qui supprimaient des aides aux familles les plus riches. « Presque 4 millions de foyers ne les ont pas sollicitées, c’est un fait. Parmi les 9 millions de foyers qui les ont réclamées, nous allons promouvoir l’économie d’énergie, car nous ne pouvons pas continuer avec un schéma dans lequel celui qui dépense le plus est celui qui reçoit le plus d’aides », déclara le ministre. De cette façon, ceux qui consommeront plus de 400 Kilowatts, perdront le bénéfice de l’aide, quel que soit leur niveau de revenus. Cette révision des aides sociales sera une opportunité pour traquer les abus et inciter les bénéficiaires à intégrer ou réintégrer des emplois formels (au lieu de travailler au noir tout en percevant des allocations).
Nouvel espoir
Le gouvernement d’Alberto Fernández organisa l’investiture du nouveau ministre de l’Économie comme une grande fête au cours de laquelle il lui renouvela sa totale confiance. Parmi les 500 invités convoqués dans le musée du Bicentenaire, annexe de la Casa Rosada, le palais présidentiel, se trouvèrent tous les ministres du gouvernement, des chefs d’entreprises, des syndicalistes, des invités spéciaux et les militants péronistes de tous les courants internes du Frente de Todos (Front de Tous). On remarqua l’absence de la vice-présidente Cristina Kirchner et de son fils de député Máximo Kirchner. Ils ont préféré se tenir à l’écart de l’onde de choc que produirait l’échec de l’action du nouveau ministre.
Sergio Massa est le troisième ministre de l’Économie du président de centre gauche, Alberto Fernández. Depuis décembre 2019, ce poste était occupé par Martín Guzmán, l’architecte du refinancement de la dette auprès du FMI, qui a démissionné à la surprise générale le 2 juillet 2022. L’économiste Silvina Batakis, qui lui a succédé, n’a pas réussi à calmer le vent de tempête, le dollar s’envolant sur le marché informel malgré les contrôles stricts sur l’achat de devises étrangères, et n’a tenu qu’un mois. Avocat de 50 ans avec une longue carrière politique, Sergio Massa prend le poste de « super ministre » de l’Économie qui fusionne trois ministères dans les domaines stratégiques de l’agriculture et de l’élevage, ainsi que le développement productif.
Pour Víctor Beker, directeur du Centre d’étude de la nouvelle économie de l’Université de Belgrano, les annonces « sont importantes, elles vont dans la bonne direction, mais elles ne répondent pas aux attentes. » « Nous sommes encore loin d’avoir une feuille de route économique complète, loin d’avoir des réponses sur la façon dont l’inflation va être combattue, ou sur la façon dont le marché des changes va fonctionner », a déclaré Víctor Beker à l’AFP.
L’arrivée de Massa au pouvoir, comme tout changement en situation de crise, a suscité un certain espoir dans la société, à défaut de créer un choc de confiance dans un pays désabusé. Ses propositions paraissent en mesure d’engager un redressement, dont le premier indice serait une baisse de l’inflation à partir de septembre. Il devrait faire rapidement une tournée aux États-Unis, en France et au Qatar pour rencontrer le FMI, le Club de Paris et des investisseurs. Sergio Massa, qui était jusqu’ici président de la Chambre des députés, met en jeu sa crédibilité sur sa capacité à tenir ses engagements. Il pourrait aussi jouer son avenir politique et peut-être sa candidature à la présidence en 2023.
Natalia MARTIN