Le 4 juillet dernier, après une année de travail acharné, l’Assemblée constituante chilienne, composée de 154 membres, citoyens indépendants ou affiliés à des partis politiques, élus de façon paritaire au cours d’élections populaires (78 hommes et 77 femmes), a remis son projet de nouvelle Constitution au président Gabriel Boric, et s’est dissoute pour entrer en campagne, en vue du référendum prévu le 4 septembre 2022.
Photo : Tribuna
Ce projet de nouvelle Constitution définit le Chili comme un « État social et démocratique de droit », « plurinational, interculturel, régional et écologique » avec une démocratie « inclusive et paritaire ». À travers ses 388 articles, le texte appelé la Carta Magna, établit de grandes avancées sur les plans écologique et social. En matière de droit du travail, il évoque une rémunération juste et adéquate. Il fixe des droits fondamentaux à caractère social tels que la santé, l’éducation et la sécurité sociale, et le droit à vivre dans un environnement sain. Le texte octroie une « protection aux écosystèmes » tels que les glaciers et les zones humides et reconnait « l’eau comme bien commun inappropriable ». Il prend en compte et protège les droits des différents groupes sociaux : droits des femmes dans le domaine sexuel et reproductif, droits des peuples autochtones, droits des minorités de genre, et droits des enfants et des adolescents. Il dessine les contours d’un état régional pour surmonter un centralisme structurel, propre à la culture chilienne. En effet, parmi les articles les plus polémiques, se trouve celui qui met fin au Sénat, qui serait remplacé par une Chambre des Régions.
Selon que l’on appartienne au camp des défenseurs ou à celui des opposants, le texte est jugé soit avant-gardiste soit trop radical. Pour Alondra Carillo Vidal, constituante de gauche et féministe, la nouvelle Constitution est historique à plus d’un titre. « Elle offre la possibilité d’un État social, garant des droits fondamentaux de la population, des femmes et des minorités sexuelles et de genre. Elle change notre relation à la nature et propose un futur qui ne sera plus le néolibéralisme, ni le modèle d’extraction des ressources naturelles » se réjouit-elle.
Parmi les opposants, Luciano Silva Mora, pasteur évangélique de centre droit, ayant participé à l’élaboration du texte, « ce texte est totalement radical, purement étatique, et va favoriser l’expropriation des terres » avance-t-il. « Ce qu’il manque à cette constitution, c’est davantage de libertés pour assurer un libre marché, régulé, qui nous permettra d’avoir des biens et des services ». Selon lui, le texte n’est pas assez représentatif. « Les grands et les petits entrepreneurs, les groupes religieux, ne sont pas considérés dans la nouvelle constitution » estime-t-il. Pourtant, l’élaboration de cette nouvelle Carta Magna émane des émeutes sociales qui éclatèrent à partir du 18 octobre 2019 sous le gouvernement de Sebastián Piñera, et elle s’est efforcée de répondre aux attentes du peuple.
Malgré tout, le « oui » ne semble pas garanti. Il reste un mois avant le référendum obligatoire prévu le 4 septembre et selon les sondages, le « non » pourrait bien l’emporter (54 % de la population, selon un sondage réalisé par Cadem) et laisser en place la constitution actuelle, écrite en 1980 sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet et qui, même si elle a été modifiée de nombreuses fois, manque de légitimité. La question est de savoir quel chemin suivra le Chili le lendemain du référendum.
Le président de la République, Gabriel Boric, qui lui est favorable au nouveau texte constitutionnel, se prépare à l’éventualité du rejet. Il a par ailleurs déclaré que si la nouvelle constitution était rejetée « il faudrait de nouvelles élections, pour élire une seconde Assemblée qui rédigera un nouveau texte constitutionnel » et « prolonger le processus d’un an et demi de plus, pour tout rediscuter et recommencer à zéro ». Son argument est que le Chili a voté de façon très claire lors du premier référendum du 25 octobre 2020 en faveur d’une nouvelle constitution écrite par des personnes élues par des citoyens. Le « oui » en faveur d’une nouvelle constitution l’avait alors emporté à 78 %.
Plusieurs membres de son entourage qui n’envisagent pas d’autre issue que l’approbation du nouveau texte, ont critiqué son annonce. Selon une députée de la coalition présidentielle, « ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est concrétiser la mise en place de la nouvelle constitution au lieu d’envisager des scénarios encore fictifs » s’est-elle agacée. L’opposition quant à elle se réjouit de l’annonce du président puisqu’en effet, la droite rejette la nouvelle constitution et considère comme « raisonnable » et « réaliste » que le gouvernement se prépare à cette éventualité.
Alors que pour l’opposition la campagne est menée sous la devise « rejeter pour réformer », la majorité progressiste postule « approuver pour réformer » le nouveau texte depuis le Congrès. C’est sans l’ombre d’un doute que Boric assure que le texte requiert des modifications. « J’aimerais que nous ayons un large accord à propos des choses qu’il faudra modifier. Par exemple le thème des systèmes de justice contre un Pouvoir judiciaire » a-t-il signalé.
Les deux camps ont encore un mois pour tenter de convaincre les indécis qui représentent autour de 11 % de la population. Le processus constituant convenu par les forces politiques, excepté le Parti communiste, établit qu’en cas de rejet du projet, la constitution de Pinochet devrait rester en vigueur. Or, Boric affirme : « Il y a un accord transversal à présent selon lequel la Constitution que nous avons en place aujourd’hui n’est plus conforme à l’accord social au Chili ». C’est en toute transparence que Gabriel Boric, avec le leadership qui le caractérise, anticipe les conséquences du rejet, et désigne le chemin qu’il faudra suivre après le plébiscite, un chemin qui ne peut être que démocratique.
Natalia MARTIN