Une nouvelle constitution pour le Chili : le 4 septembre, avec un vote obligatoire, les Chiliens décideront 

La convention constituante a remis son travail le 4 juillet et le prochain 4 septembre le peuple chilien se rendra aux urnes pour l’approbation ou le rejet d’une nouvelle Constitution devant remplacer celle votée à feu et sang pendant la dictature militaire en 1980.

Photo : La Nación

La nouvelle Constitution est prête après un an d’intense travail des 154 membres constituants. Elle a été remise le 4 juillet au Président de la République dans le Salon d’honneur de l’ancien Congrès de Santiago, respectant le délai fixé par le Parlement. La prochaine étape sera le 4 septembre quand elle devra être ratifiée, ou pas, lors d’un référendum national. « J ’avoue que par moments j’ai cru que nous n’arriverions pas à respecter l’échéance du 4 juillet fixée par le parlement, mais nous avons réussi ! », s’est exclamé la présidente María Elisa Quinteros, le mardi 28 juin quand la session plénière finissait de voter le dernier rapport de la commission d’harmonisation. 

Le lundi 4 juillet, exactement une année après le début des travaux de la Convention, fut remise au président Gabriel Boric et au Parlement la proposition de nouvelle Constitution qui devrait remplacer celle votée en 1980 sous la dictature du général Augusto Pinochet.  Avant que cette cérémonie solennelle commence, un groupe de femmes a fait un “sahumerio” ; elles ont allumé un feu et fait brûler de l’encens dans les rues aux alentours du Congrès pour souhaiter du succès à la nouvelle Charte fondamentale. C’est une pratique rituelle depuis l’âge préhispanique et très répandue.

À 11h05, Gabriel Boric est arrivé au terme de l’allocution de María Elisa Quinteros et du vice-président Gaspar Domínguez. Vers 12h30, la présidente a remis la proposition finale au mandataire. Puis, Gabriel Boric s’est réuni avec les présidents du Sénat, Álvaro Elizalde Soto, de l’Assemblée nationale Raúl Soto Mardones et de la Cour Suprême Juan Eduardo Fuentes Belmar. Gabriel Boric fît un discours et le président du Sénat, le socialiste Elizalde a salué ses paroles lorsqu’il a parlé d’un événement républicain majeur, résultat d’un processus démocratique en réponse à l’explosion sociale d’octobre 2019. Après que la présidente María Elisa Quinteros et le vice-président Gaspar Domínguez s’expriment, le nouveau mandataire a souhaité, en recevant la proposition de Charte, que le référendum du 4 septembre prochain ne devienne pas un jugement de son administration. Gabriel Boric a commencé ainsi son allocution : « L’histoire pour parvenir à ce moment a été longue. Il a fallu des nombreux sacrifices, y compris des vies, pour y parvenir à discuter, débattre d’une Constitution émanant d’un débat démocratique. J’ai une pensée pour l’ancien président de la République Eduardo Frei Montalva (Démocrate-chrétien 1964 – 1970), qui le 27 août 1980, il y a 42 ans, dans des jours sombres, appelait déjà à la création d’une assemblée constituante ». 

Bien que les responsables de la Constituante disposassent de peu de temps pour leur discours, ils décidèrent de saluer les fonctionnaires chiliens et internationaux, notamment le travail sans faille du fonctionnaire et avocat chilien John Smok, « Don John », « sans qui le travail aurait été encore plus difficile ». L’Assemblée constituante, composée de 154 citoyens indépendants ou affiliés à des partis politiques, fut dissoute donc un an tout juste après avoir commencé ses travaux, le 4 juillet 2021. Lissete Vergara (coordinatrice plurinationale) a déclaré, « je vais dormir au moins trois jours ». Le texte sera soumis à référendum le 4 septembre et quinze millions de Chiliens devront dire s’ils acceptent (« Apruebo ») ou rejettent (« Rechazo ») cette nouvelle Constitution. Le vote est obligatoire. Pour les personnes vivant à l’étranger, le vote n’est pas obligatoire, le service électoral (Servel) a déjà initié les processus d’actualisation. Si le rejet l’emportait, la loi fondamentale actuelle, datant de l’époque de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), restera en vigueur.

Le texte constitutionnel aspire à un Chili nouveau à travers ses 388 articles. Dans le 1er article, le Chili est défini comme un « État social et démocratique de droit », « plurinational, interculturel et écologique »« Sa démocratie est paritaire » et « il reconnaît comme valeurs intrinsèques et inaliénables la dignité, la liberté, l’égalité substantielle des êtres humains et leur relation indissoluble avec la nature ».  « Je pense que nous avons répondu aux demandes sociales, aux aspirations des citoyens », se félicite auprès de l’AFP Barbara Sepúlveda, élue de la Constituante pour le Parti communiste. Les constituants de la droite parlent d’une occasion « manquée » pour « construire quelque chose qui unit et ne divise pas le pays ».  Comme si le pays n’était pas depuis bien longtemps très divisé. « Cela n’a pas été le processus simple et amical que nous aurions voulu ou rêvé, il y a eu de fortes tensions », reconnaît l’écrivain et journaliste Patricio Fernández, élu à l’Assemblée constituante parmi les indépendants qui, avec 104 sièges, étaient les plus nombreux. Les débats dans le pays ont été vifs et même durs avec la circulation de fake news dans les médias, très souvent aux mains des secteurs les plus conservateurs, comme le journal El Mercurio.

Si le texte est approuvé, le Chili se placera à l’avant-garde dans plusieurs domaines. Le droit à l’avortement sera inscrit dans la loi fondamentale. « C’est une Constitution moderne d’une autre ère. Je suis persuadé que si elle est approuvée, quand on regardera avec recul le processus (…) on le verra avec plus de tendresse et d’admiration que nous le voyons aujourd’hui », estime Patricio Fernández.  À deux mois du référendum, de nombreux sondages indiquent toutefois que le « non » (rejet) pourrait l’emporter. Mais le texte final n’a pas encore été diffusé en totalité et une partie des Chiliens reconnaissent ne pas avoir d’opinion définitive.

Les partisans du “oui” doivent convaincre que le texte changera vraiment la vie des gens, tandis que ceux du “non” ont déjà commencé leur travail de sape avec le soutien des médias.  Des groupes sont nées ici et là, sous couvert d’une position neutre tel que « Los Amarillos » (Les Jaunes) pour dénigrer le travail de la Convention et à qui le journal El Mercurio accorde des pages dans ses éditions.  Même des notables ou anciens ministres de l’ancienne Concertation démocratique ayant gouverné le pays pendant trente ans après la dictature, y compris l’ex-président socialiste Ricardo Lagos, font preuve d’ambigüité à l’égard de la proposition et n’appellent pas à la ratifier. 

Un plan médiatique au niveau des citoyens, est nécessaire, dit Patricio Fernández partisan du « oui » : « il faut un support technique et des plateformes digitales pour que les Chiliens s’informent pas à pas ». Les universités organisent des ateliers et même des cours diplômants en accès libre et gratuit sur la nouvelle Constitution, des groupes citoyens aussi se réunissent dans des agoras dans les quartiers. La présidente et le vice-président, lors de leurs discours respectifs, ont signalé que le texte peut être reformé : « On nous a commandé de rédiger ce texte et aujourd’hui, avec humilité et satisfaction, nous l’offrons ayant respecté les délais fixés.  Nous savons qu’il est perfectible mais c’est une base solide et éthique pour construire une société plus équitable ».

Dans son discours Gabriel Boric a dit que si le rejet s’imposait, cela serait pour lui un échec. « Cette proposition est le fruit d’un travail collectif et au cours de son processus, nous avons vu que nous avons beaucoup de différences mais il y a quelque chose qui nous unit, l’amour de notre pays ». « La diversité ne divise pas et sa reconnaissance n’est pas un privilège mais une nécessité pour construire unité et égalité », a-t-il précisé. Pour le vice-président Domínguez : « Ce processus est le plus transformateur et moderne qu’a connu le Chili au cours de son histoire démocratique car il introduit une vision écologique et le monde le regarde avec espoir ».

« Cette nouvelle étape, avant le référendum, doit être la continuation d’un processus de convergence, parce qu’une Constitution parfaite n’existe pas et cette proposition est une boîte à outil pour avancer », a-t-il indiqué. « Nous avons dû écrire ce texte au milieu de convulsions, d’une crise socio-environnementale sans précédent, pendant une pandémie et des nouvelles guerres dans le monde »« Nous avons fait le choix d’un chemin institutionnel pour avancer corrigeant les déséquilibres et nous sommes parvenus à des amples accords et à rédiger la première Constitution paritaire du monde. (…) Nous nous sommes limités de manière stricte au mandat citoyen historique parvenant à des larges accords avec respect et tenant compte du cadre juridique international avec des bases scientifiques, éthiques et sociales dans chaque proposition. A partir de ces fondations solides, nous avons rêvé et construit », a-t-il affirmé. 

Dans son allocution le président de la République a dit : « Cette journée restera dans les annales de notre patrie et vous les constituants avez accompli la mission que vous avait donné le peuple du Chili. Au-delà des divergences sur ce texte, nous devons être fiers que dans les temps si difficiles que nous avons traversé, les Chiliens avons fait le choix de plus de démocratie ». La campagne en vue du prochain référendum devrait commencer, elle sera rude et les Chiliens ont deux mois devant eux pour connaître la proposition de chartre fondamentale avant le vote. « Nous insistons sur l’importance de cette proposition constitutionnelle et sur la nécessité d’un débat avec hauteur de vues respectant les différentes opinions et laissant de côtés les fakes news pour que les citoyens s’informent sereinement », ce sont les mots du Président Gabriel Boric. Ce peuple courageux qui ne cesse de nous surprendre saura-t-il saisir cette opportunité unique de changement pour son pays ? 

Olga BARRY