Sur fond d’un débat au Parlement d’une éventuelle destitution du président Guillermo Lasso, les manifestations contre la cherté de la vie ont finalement obligé le gouvernement à baisser le prix des carburants. Les décrets sur l’extraction minière et l’extension de l’exploitation pétrolière en Amazonie restent toutefois en suspens.
Photo : Primicias
Il y a deux semaines, une crise sociale aux allures de catastrophe nationale était à son comble dans six provinces équatoriennes déclarées en état d’urgence. Après dix-huit jours de barrages routiers et de répression policière, avec un lourd bilan de six morts et plus de six-cents blessés, les leaders de la puissante Confédération des nationalités indigènes (Conaie) ont « accepté » la proposition de l’Église catholique. Le jeudi 30 juin, le ministre des Affaires gouvernementales, Francisco Jiménez, le ministre des Affaires étrangères, Juan Holguín, et le secrétaire général de la présidence, Ivan Correa, se sont réunis avec les trois délégués de la Conaie, dont le chef Leonidas Iza, dans les locaux de la Conférence épiscopale située à Quito.
Selon Monseigneur Alfredo Espinoza, les médiateurs de l’Église ont « proposé aux deux parties, pour le bien du pays et la réalisation de la paix, une baisse totale de 15 cents (de dollar) par gallon » d’essence (environ quatre litres). Quelques jours auparavant, le gouvernement avait concédé une baisse de 10 cents, jugée « insuffisante » par les manifestants qui exigeaient une réduction de 40 cents. La confédération indigène a donc donné son accord à la baisse de 15 cents par gallon d’essence. Toutefois, avant de signer le document, Leonidas Iza a annoncé la suspension des manifestations et les blocages routiers sans pour autant abandonner « la lutte ». Car dans un pays où lesdites « nationalités indiennes » représentent plus d’un million des 17,7 millions d’Équatoriens, les manifestants, en majorité des exploitants agricoles, réclament encore la création d’emplois et une renégociation des dettes des paysans auprès des banques.
Outre le chômage, la Conai dénonce également le sous-emploi et la concession des exploitations minières dans leurs territoires. Un sujet particulièrement sensible reste toujours au centre du mécontentement : la déforestation de l’Amazonie où, depuis le début des manifestations à la mi-juin, un millier de puits pétroliers ont été bloqués. Pour sa part, le président conservateur Guillermo Lasso s’est montré soulagé, voire optimiste, après la signature de l’accord. « Nous avons atteint la valeur suprême à laquelle nous aspirons tous : la paix dans notre pays. La grève est terminée. Nous entamons maintenant ensemble la tâche de transformer cette paix en progrès, en bien-être et en opportunités pour tous », a-t-il déclaré sur son compte Tweeter.
Ce procès de paix réclame cependant la mise en place d’un programme économique que le président n’est pas certain de pouvoir exécuter. En effet, cette crise a sapé davantage la crédibilité du chef de l’État, et sa côte de popularité ne cesse de chuter au cours de cette première année d’un gouvernement affaibli doublement par la démission en cascade de ses ministres et par une hausse généralisée de l’insécurité liée à la délinquance et au narcotrafic. À présent, force est de constater donc que l’espoir généré par l’élection de l’ex-gouverneur de la province du Guayas, ancien banquier de profession, n’a pas duré. En outre, le gouvernement est contraint de négocier en permanence avec le Parlement, où il ne dispose pas de la majorité. C’est donc en pleine déliquescence politique qu’il vient d’échapper de justesse à une tentative de destitution de la part de l’opposition. Une opposition divisée, certes, mais unanimement d’accord sur la responsabilité du président dans cette crise qui a paralysé le pays avec une perte d’un milliard de dollars pour l’économie.
Dans ce contexte en spirale descendante pour Guillermo Lasso, après seulement treize mois à la tête du pouvoir, une cause atténuante pour son bilan négatif explique en partie la situation socio-économique actuelle. M. Lasso a hérité d’un pays en proie à la récession, après deux gouvernements populistes de gauche qui ont obéré les finances du pays : celui de Rafael Correa entre 2007 et 2017(condamné à huit ans de prison, en avril 2020, par contumace car il s’est exilé en Belgique), puis celui de son dauphin Lenín Moreno (2017-2021). Comme le souligne le site latino-américain Connectas, « ces présidents ont surendetté le pays en voulant amorcer de grands projets sociaux et d’infrastructures qui, souvent, ont fini empêtrés dans la corruption, en raison des surcoûts et des pots-de-vin ». Ce propos rappelle ce qu’avait dit aux journalistes Correa lui-même en mars 2019 : «il est inévitable, quand on a dix ou douze ans de pouvoir, d’avoir des cas de corruption ».
À l’heure actuelle, les informations provenant de l’Équateur indiquent que les rues de Quito et celles des six provinces déclarées en état d’urgence retrouvent une certaine accalmie. C’est la paix annoncée par le gouvernement, tandis que l’espoir des pauvres repose dans les dossiers de l’Assemblée. Or une question reste ouverte : après son heureuse et décisive intervention dans le dénouement de cette crise meurtrière, que fera l’Église dans le cas du procès contre Léonidas Iza ? Le chef de la Conaie, qui a mené la grève pendant dix-huit jours, comparait devant la justice depuis lundi dernier. Il risque trois ans de prison pour « paralysie du service publique ». Lesdits « peuples autochtones » dénoncent un procès politique, alors qu’ils se considèrent victimes d’un système d’exclusion sociale et de corruption institutionnelle. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, la rhétorique religieuse peut-t-elle jouer là encore le grand rôle de médiatrice ? À cet égard, la puissance de Dieu Trinité aurait ainsi une occasion inestimable – et historique – de contribuer à semer enfin des conditions sociales plus justes pour une paix durable, et du même coup tenter de se rattraper vis-à-vis des nations indiennes marginalisées depuis les temps crépusculaires où la Croix fut, hélas, associée à l’épée des colonizadores pour répandre la Bonne nouvelle* sur le Nouveau Monde.
Eduardo UGOLINI
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* Traduction littérale du terme grec ancien evagelion : « Évangile ».