L’histoire se répète en Équateur, où des manifestations autochtones d’envergure secouent la capitale, Quito, et menacent de précipiter la chute du président en exercice.
L’état d’urgence a été décrété dans six provinces par le dirigeant conservateur du pays sud-américain, Guillermo Lasso, qui appelle au dialogue tout en assurant à la population qu’il ne permettra pas à « quelques individus violents » de troubler son quotidien. « Le message du gouvernement est qu’il veut négocier, mais il favorise parallèlement sur le terrain des mesures très répressives », a relevé mardi en entrevue Andre Rangel, analyste d’Amnestie internationale établi au Mexique.
L’organisation a relevé que 79 personnes avaient été arrêtées et 55 autres avaient été blessées depuis une semaine lors d’interventions marquées par un usage « excessif de la force ». « Il faut que le gouvernement favorise une désescalade de la situation en cessant la répression », prévient M. Rangel, qui s’alarme du déploiement à grande échelle de militaires mal formés pour faire du contrôle de foule. Le mouvement de protestation a été lancé la semaine dernière par la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE), qui avait joué un rôle central lors de soulèvements populaires ayant précipité la chute de trois présidents entre 1997 et 2005. L’organisation était aussi aux premières loges en 2019 lors de manifestations qui avaient tourné à la violence, faisant 11 morts et des centaines de blessés.
Le chef de la CONAIE, Leonidas Iza, a déclaré que les Autochtones du pays n’avaient pas d’autre choix que de recourir derechef à la « résistance » pour freiner les politiques économiques « délétères » du gouvernement. Le militant a été arrêté brièvement et relâché la semaine dernière après avoir été accusé de « paralysie d’un service public » pour avoir ordonné à ses membres de bloquer plusieurs routes à travers le pays.
Des milliers d’Autochtones ont convergé depuis à Quito, où la tension monte.
Selon l’Agence France-Presse, environ 500 d’entre eux ont été refoulés mardi par la police avec des gaz lacrymogènes alors qu’ils tentaient de prendre le contrôle d’un centre culturel ayant servi de quartier général lors des manifestations survenues en 2019. Un indigène amazonien est d’ailleurs mort mardi lors d’une « confrontation » avec les forces de l’ordre, a déclaré à l’AFP l’avocate Lina María Espinosa, de l’Alliance des organisations des droits humains. L’homme de 40 ans faisait partie d’un groupe de manifestants qui bloquaient la localité amazonienne de Puyo, au sud de Quito.
Sebastian Hurtado, analyste politique établi dans la capitale, a indiqué mardi que les forces de sécurité semblent avoir tiré des leçons du précédent affrontement avec la CONAIE et cherchent à faire en sorte que les manifestants ne puissent s’installer durablement. L’organisation autochtone, dit-il, a pris note du fait que la popularité du président Lasso a fortement chuté depuis son arrivée en poste il y a un an, ce qui le place dans une position désavantageuse pour négocier.
Contrôle des prix et rémunération « juste »
La faiblesse de ses appuis au sein du Congrès, où la gauche domine, le fragilise encore plus, note M. Hurtado, qui s’attend à ce que le politicien cherche à s’accrocher au pouvoir en faisant quelques concessions de nature économique. Les manifestants demandent notamment que l’État réduise sensiblement les prix du litre de diesel et d’essence, gelés en octobre dans une première tentative d’apaisement. Ils demandent par ailleurs que des prix plafonds soient fixés pour les produits de première nécessité et qu’une rémunération « juste » soit garantie pour les petits producteurs agricoles. Les Autochtones réclament aussi un moratoire empêchant toute intensification des activités minières et pétrolières dans le pays. Andre Rangel, d’Amnistie internationale, note que le président Lasso a adopté des décrets visant à soutenir le développement de ce secteur, une décision vue comme une « menace » par les Autochtones, qui comptent 1 million de personnes sur une population totale d’environ 18 millions.
Grace Jaramillo, professeure à l’Université de la Colombie-Britannique, qui suit de près la situation en Équateur, relève que la crise actuelle, à l’instar des précédentes, découle de la « marginalisation structurelle » des Autochtones du pays. « Il n’y a pas d’intégration économique. La plupart d’entre eux continuent de vivre sous le seuil de la pauvreté », relève l’analyste.
Le fait que le bras politique de la CONAIE soit devenu le deuxième parti en importance dans un Congrès très divisé lors des dernières élections n’a rien changé à la donne, relève l’analyste. Elle reproche à l’élite politique de traiter les Autochtones avec « condescendance », favorisant leur radicalisation, plutôt que de jeter les bases d’un véritable dialogue. « En un an de pouvoir de Guillermo Lasso, il n’y a pas vraiment eu de progrès à ce sujet », relève Mme Jaramillo, qui juge « hautement probable » la chute du président.
D’après Marc Thibodeau
La Presse de Canada