Les premiers cent jours du gouvernement du président chilien Gabriel Boric

À plus de cent jours de son gouvernement, Gabriel Boric, est-il en train « d’habiter » sa fonction de président du pays ? – expression que lui-même avait employée. Selon Max Weber, la juste mesure est entre le compromis avec ses propres convictions et la responsabilité du gouvernant.

Photo : La Tercera

Dans le cas de Gabriel Boric il s’agit de la responsabilité d’assumer sa responsabilité de chef de l’État respectant l’institutionnalité du pays, sans pour autant trahir ses convictions et organiser l’exécution urgente des tâches pour lesquelles il a été élu, proposant « un récit, un projet et une stratégie », dit Mireya Dávila dans une colonne du journal chilien en ligne El Mostrador. En dépit de sondages d’opinion plutôt défavorables, selon l’enquête Plaza Pública Cadem de la troisième semaine de juin, Gabriel Boric bénéficie de 41 % d’approbation, le président affirme donc son leadership. Reconnaissant entre autres l’apport des générations des citoyens, des politiciens et gouvernants que l‘ont précédé, il insiste sur le renforcement démocratique des institutions et défend les changements profonds sur lesquels il s’est engagé pour rendre meilleure la vie des Chiliens.

Une de ses premières mesures a été de demander la libération des détenus de l’explosion sociale de 2019-2020, il est revenu également sur l’obligation de l’État de continuer la recherche des détenus-disparus de la dictature. Il a mis en application la parité dans l’administration publique. Il a signé l’Accord d’Escazú, un traité international signé par 24 pays de l’Amérique latine et des Caraïbes concernant les droits d’accès à l’information sur l’environnement, à la participation du public à la prise de décision environnementale, à la justice et à un environnement durable pour les générations actuelles et futures.

Aux cent premiers jours de son mandat, le gouvernement de Gabriel Boric a adressé aux parlementaires de la coalition officielle un communiqué signalant les premières initiatives mises en œuvre pour aborder les questions les plus urgentes : la hausse du salaire minimum, la prolongation du revenu familial d’urgence, le programme de soutien aux petites et moyennes entreprises, la mise en place d’une ligne de crédit pour la petite industrie minière. Aussi, le gel des tarifs des transports publics, le frein à la hausse des prix de certains combustibles, tels que la paraffine, utilisée par les Chiliens moins favorisés pour se chauffer pendant l’hiver austral, entre autres. Le document précise que ces initiatives se font en parallèle avec l’avancée des transformations structurelles.

Dans les secteurs de l’éducation et la culture, le gouvernement a mis en valeur la hausse de la bourse alimentaire pour les étudiants du Supérieur au bénéfice de 620 000 jeunes. Pour la culture, un bon de 400 000 pesos (430 €) pour les travailleurs de la culture qui profite à 30 000 personnes. Cumplimos 100 días de gobierno, trabajando por y con la gente. Queda mucho. ¡Seguimos!”  (« Nous avons accompli 100 jours, travaillant pour et avec les gens. Il nous reste encore beaucoup à faire. Continuons ! »). Par ces mots, le président Gabriel Boric a présenté les actions des 100 jours de sa mandature depuis le 11 mars dernier. 

Une période marquée également par la grave crise de ce qu’on appelle la Macrozona en Araucanie, au sud du pays, dans les territoires mapuches où sont installées de grandes compagnies forestières. La question de la sécurité face au narcotrafic et le thème de la migration ainsi que le processus constituant, décisif pour la réalisation des transformations dans le pays. Une période intense pour le jeune président. 

L’opposition quant à elle effectue son propre bilan sur la nouvelle administration. Pour le sénateur de Révolution démocratique (gauche) Juan Ignacio Latorre, la décision de la fermeture de la fonderie de Ventanas va dans la ligne d’un gouvernement écologiste, même s’il déplore les tensions entre les coalitions de l’actuel gouvernement : Apruebo Dignidad (Parti du président) et Socialisme démocratique. 

Le député socialiste Jaime Naranjo, reconnaît que l’administration actuelle est confrontée à des problèmes hérités des gouvernements précédents tels que la crise migratoire, le conflit avec les populations mapuches dans l’Araucanie, le crime organisé et l’insécurité ainsi que l’inflation.  Il est certain, que ce nouveau gouvernement avec probablement moins d’expérience dans l’administration de l’État, paie aussi les conséquences de cette crise.

L’opposition de droite pointe les erreurs et souligne de manque de connaissances du terrain, que son expérience se limite à celle de la rue. Selon le sénateur du Parti républicain, Rojo Edwards, le président chilien a décidé de ne pas gouverner, en attente des résultats du référendum constitutionnel du 4 septembre prochain, qui devrait approuver ou rejeter la nouvelle Constitution, dont le « brouillon » sera présenté au Parlement et au pays le 4 juillet. L’opposition de droite est surtout occupée à organiser sa campagne contre la nouvelle Constitution, appelant à voter contre son approbation.

Le sociologue Carlos Ruiz et ancien conseiller du Frente Amplio, lors d’un entretien du journal chilien The Clinic, considère que le gouvernement n’a pas eu une politique claire vis-à-vis de la droite et qu’il devrait essayer de dialoguer avec les secteurs les moins conservateurs. Il est de la responsabilité de tous de faire bloc contre une droite extrême et antidémocratique qui représente un réel danger pour la démocratie, ajoute-t-il. Cette droite extrême fait tout pour bloquer l’action gouvernementale, de manière brutale à la limite de la déstabilisation. Le sociologue insiste, « nous sommes face à la plus abjecte des droites qui est en train de jouer le tout pour le tout. » Elle veut faire avorter le processus constituant parce qu’elle ne souhaite aucune transformation et cela peut signifier que la mèche brûle à nouveau, menant le pays à une grande convulsion et à une situation incontrôlable. Il faut que le gouvernement élargisse sa base de soutien, dit-il, qu’il s’ouvre aux partis démocratiques, qu’il retrouve son ancrage dans la société et les mouvements sociaux. 

Le puissant journal de droite El Mercurio est de retour et conduit l’action de communication de la droite et exerce une énorme pression dans l’opinion et sur le gouvernement, notamment sur le problème de l’Araucanie, conduisant le gouvernement à réinstaurer un état d’exception en faisant appel aux forces armées. Ce conflit vieux de plusieurs décennies, aucun des trois derniers gouvernements ne l’a résolu avec la militarisation et l’on voudrait que Gabriel Boric le résoudre en cent jours. 

Ces dernières heures, le sénateur de la Démocratie chrétienne Ricardo Yáñez s’est exprimé sur une question grave, à propos d’un reportage dénonçant que le Général et directeur de l’Intelligence policière de Carabiniers (Dipolcar), Luigi Lopresti, est en train de réaliser une « stratégie silencieuse pour saper » le gouvernement actuel, en marge de ses fonctions, donnant des informations stratégiques à l’opposition et non au gouvernement. Le sénateur insiste, les Carabiniers doivent respecter leur subordination à l’État et ne peuvent être une force délibérante, il exige ainsi des explications de la part de cette institution.

Aux problèmes mentionnés précédemment s’ajoutent l’actuelle grève et mobilisation avec des actes de violence, paralysie des routes et désordre des travailleurs du cuivre (26 syndicats), suite à l’annonce de la fermeture de la fonderie de Codelco – Ventanas. « Cette fermeture n’est que le début », annoncent ceux qui critiquent une vision écologiste du gouvernement, ironisant que si le palais présidentiel de La Moneda s’inquiète plus du sort des petits arbres et oiseaux, peut-être que ce n’est plus le gouvernement de tous les Chiliens. »

Le chemin des transformations démocratiques et sociales n’est pas sans embûches pour le gouvernement de Gabriel Boric, mais indépendamment du résultat du référendum constitutionnel et de son approbation ou rejet, « le pays vit déjà une transition et tout paraît indiquer qu’il n’y a pas de retour en arrière », dit la journaliste de El Mostrador, Mireya Dávila.

Olga BARRY