Le gouvernement permet difficilement l’accès aux données concernant les arrestations ou les jugements en cours, et les condamnations ne sont révélées que par les familles ou les organisations anticastristes.
Photo : El Pais
Six mois après les manifestations massives du 11 juillet de l’an dernier, des centaines de Cubains détenus pour avoir participé aux manifestations contre le gouvernement sont jugés dans divers tribunaux du pays, accusés d’insubordination, de désordre public, d’incitation à la délinquance, d’attentat et dans quelques cas de figure, de sédition, ce qui peut supposer jusqu’à trente ans d’incarcération. L’information est confuse et difficile à vérifier, car les autorités n’ont pas communiqué de données officielles sur le nombre de personnes arrêtées pendant et après les incidents, ni sur le nombre de Cubains qui demeurent incarcérés, ni sur les jugements qui ont déjà eu lieu et les peines infligées. Rien n’a été communiqué non plus sur les procès qu’il reste à organiser. De même que n’a même pas été communiqué le nombre de manifestations qualifiées de pacifiques et celles qualifiées de violentes, du 11 juin, quand des dizaines de milliers de personnes se sont lancées dans les rues de plus de soixante villes et villages de Cuba pour protester contre les conditions de vie difficiles et pour réclamer la liberté lors des plus importantes manifestations contre le gouvernement en 62 ans de révolution.
Au de là des dénonciations ponctuelles des familles de prisonniers, les seules sources qui donnent des données globales sur ce qu’il advient des détenus sont les organisations anticastristes comme Cubalex ou Prisoners defenders, qui estiment qu’au moins un millier de personnes ont été emprisonnées pour donner suite aux évènements du 11 juillet, dont sont toujours incarcérées en attente de jugement entre 600 et 700, certaines sont des mineurs. D’un groupe de 200 cas que Cubalex certifie avoir documenté, pour 25 d’entre eux le Tribunal demande des sanctions allant jusqu’à cinq ans, 63 risquent des peines allant de 6 à 10 ans de réclusion, 27 autres de 11 à 15 ans tandis que 49 autres pourraient passer entre 16 et 20 ans derrière les barreaux et 46 risquent entre 20 et 30 ans pour sédition, si les demandes du Ministère public sont retenues.
Le gouvernement ne confirme pas ces chiffres et ne les dément pas non plus. La presse nationale ne donne pas d’information sur les jugements dans les médias officiels et la presse étrangère n’a pas eu accès aux enregistrements oraux de sorte que l’information ne circule qu’au compte-gouttes, par l’intermédiaire des familles. Un groupe d’entre elles a fait savoir que ce mardi s’est ouvert un jugement contre 21 résidents d’Holguín qui ont participé aux manifestations dans cette ville orientale, qui ont dégénéré parfois en faits de violence. Les requêtes des juges dans ce cas vont de 15 à 30 ans de prison pour cas de sédition. Lundi s’est ouvert un autre procès dans la ville centrale de Santa Clara contre 16 jeunes, tandis que de la province d’Artemisa, un autre groupe de proches a fait savoir que 13 manifestants – qui ont été jugés à la mi-novembre – ont pris connaissance de la sentence : des condamnations qui vont de 4 ans de restriction de liberté sous contrôle, à 12 ans d’emprisonnement.
Des sources dissidentes ont fait savoir que dans le village de Bejucal, à 30 kilomètres de La Havane, aura lieu prochainement le procès pour outrages, désordres publics, non-respect des symboles de la patrie et sabotages, de cinq jeunes de la localité, parmi eux l’étudiant en musique Abel González Lescay, pour lequel le tribunal requiert sept ans de prison. L’accusé étudie à l’Institut supérieur d’art et a été soutenu par son université quand la presse a mentionné son cas. Le jeune homme a raconté que le 11 juillet il a manifesté pacifiquement dans les rues mais que le lendemain il a été arrêté à son domicile car il apparaissait sur une vidéo. Il a déclaré qu’alors que des gens de son entourage se sont vu infliger une amende et ont été relâchés, lui a fait l’objet de la sanction d’assignation à résidence en attente du procès. « La seule différence entre eux et moi est qu’on a une vidéo de moi traitant un policier de pédé ».
D’autres cas ont été récemment révélés, comme celui d’artistes qui, le 11juillet, se sont réunis devant l’Institut cubain de Radio et Télévision pour réclamer quinze minutes face aux caméras de télévision, à la suite de quoi ils ont été arrêtés et assignés à résidence. Au sein du groupe se trouvait le dramaturge Yunior García, principal organisateur de la marche pour le changement du 15 novembre, marche sans effet, et qui s’est par la suite exilé en Espagne. Le gouvernement cubain relie les évènements du 11-J à son différend de longue date avec les États-Unis en affirmant que les manifestations ont été encouragées et manipulées par Washington et que dans nombre de villes et villages du pays elles ont dégénéré en actes de vandalisme, de pillage et en actions violentes. Cependant de nombreuses voix dans l’île, y compris de personnalités proches du gouvernement, telles que le chanteur Silvio Rodríguez, ont demandé aux autorités de la modération et la libération des manifestants qui n’ont pas pris part à des actions violentes, et ont remis en question en particulier l’usage des termes de « délinquant » et de « sédition » pour juger les faits.
« Les peines requises sont disproportionnées et de toute évidence ont une valeur symbolique d’exemplarité », déclare l’historienne et coordinatrice du site La Jeune Cuba, Alina Bárbara López Hernández, qui pense que « les réquisitoires sont très sévères et non conformes au droit: par exemple, pour Abel Lescay, étudiant de l’Université des sciences de l’art, sont requis sept ans de prison pour avoir manifesté dans son village, avoir proféré des insultes à l’adresse du président de la République et refusé d’être arrêté à son domicile. Dans un autre cas, pour avoir en public brisé un portrait de Fidel Castro, ont été demandés pour lui 10 ans d’incarcération. Il y a des peines plus élevées encore : de 12, 15 , 20 et 25 ans. »
Des familles de Cubains incarcérés suite aux incidents du 11 juillet ont demandé à plus de trente ambassades à La Havane de suivre les procès en « tant qu’observateurs », tandis que le gouvernement des États-Unis a sanctionné la semaine dernière huit hauts fonctionnaires cubains « impliqués dans la détention, les sentences et l’emprisonnement de manifestants pacifiques du 11 juillet. Précédemment Washington avait sanctionné neuf autres fonctionnaires, la plupart d’entre eux gradés de l’armée et de la police, impliqués dans la répression contre les manifestants. Des milieux officiels ont qualifié ces sanctions de « nouvelles tentatives du gouvernement des États-Unis d’interférer dans les affaires intérieures de Cuba, de tenter de médiatiser l’application de la justice dans le pays et de chercher à protéger les éléments qui, pour une bonne part financée par Washington, prétendent perturber l’ordre politique et social de Cuba. »
Le manque de transparence est un thème central en ce moment. « L’information que nous recevons est celle qui circule sur les réseaux sociaux et les médias alternatifs, suite à des dénonciations de familles, d’amis ou de juristes indépendants; en conséquence ce sont des données fluctuantes ou inexactes. Nous manquons d’information officielle sur le nombre des détenus, les dates des procès, les réquisitions juridiques et les condamnations qui en résultent », a indiqué López.
Dans la même ligne, l’académicien et ex-diplomate cubain Carlos Alzugaray, indiquait récemment qu’« actuellement on ne connaît toujours pas le chiffre des détenus ni le nombre de manifestations qui ont eu lieu, on ne sait pas combien ont été pacifiques, combien ont entraîné des troubles, ni le nombre de citoyens qui y ont participé. Et, évidemment, des voix s’élèvent qui réclament la libération de tous ceux qui ont manifesté pacifiquement, entre autres celle du chanteur Silvio Rodríguez, très respecté dans les cercles proches du gouvernement. »
El País -1er juin
Traduit par Françoise Coudel