Anniversaire de la naissance d’Alejandra Pizarnik, poétesse de l’ombre et écrivaine majeure

Il y a 86 ans naissait dans la banlieue de Buenos Aires, le 29 avril 1936, Alejandra Pizarnik. La poétesse, qui séjourna aussi pendant quatre ans à Paris, y passa la plus grande partie de sa vie. Peu connue en France, elle était pourtant déjà reconnue par ses contemporains de son vivant et l’Argentine la célèbre encore aujourd’hui.

Photo : Clarin

Alejandra Pizarnik (mais son nom de naissance est Flora Alejandra Pizarnik) grandit dans une famille d’immigrés juifs de Galicie où l’on parle surtout le yiddish puisque ses parents, arrivés en Argentine deux ans avant sa naissance, peinent à apprendre l’espagnol. Son enfance est difficile, marquée par une relation compliquée avec sa mère et par un sentiment d’étrangeté renforcé par son bégaiement. Après l’obtention de son bac en 1954, elle se cherche à travers plusieurs voies : les lettres, la philosophie, le journalisme, la peinture… Elle réalise tôt cependant sa vocation d’écrivaine, puisqu’elle publie son premier recueil de poésie, La terre la plus contraire (La tierra mas ajena), à l’âge de dix-neuf ans.

Après la publication de deux autres recueils, La Dernière Innocence (La ultima inocencia) en 1956 et Les Aventures perdues (Las aventuras perdidas) en 1958, qui lui valent, avec le premier, la reconnaissance de ses pairs et une place au sein du monde littéraire argentin, elle s’envole pour Paris en 1960 où elle passe quatre années. Elle y fait la rencontre, très marquante, d’Octavio Paz qui écrira le prologue de son recueil de poème Arbre de Diane (Arbol de Diana) publié en 1962, de Julio Cortazar mais aussi d’écrivains français comme Breton et Bataille. Elle retourne vivre à Buenos Aires en 1964 où elle publie deux de ses recueils majeurs, Les Travaux et les Nuits (Los trabajos y las noches) en 1965 et Extraction de la pierre de folie (Extraccion de la piedra de locura) en 1968, salués par l’obtention de la bourse Guggenheim et de la bourse Fullbright. Malgré la reconnaissance dont elle bénéficie, ce retour en Argentine est marqué par la dégradation de son état mental : elle se renferme profondément sur elle-même et enchaîne les crises dépressives.

Après deux tentatives de suicide en 1970 et 1972, elle passe les cinq derniers mois de sa vie dans une clinique psychiatrique et finit par se suicider le 25 septembre 1972 lors d’une autorisation de sortie pour le week-end en ingérant une dose importante de psychotropes. L’idée du suicide a été obsédante pour elle, et même longuement anticipée puisqu’elle écrivait dans son journal (toute sa vie durant, elle tient des journaux en parallèle de son travail de poète) en 1962, dix ans avant sa mort : « Ne pas oublier de se suicider. Ou trouver au moins une manière de se défaire du je, une manière de ne pas souffrir. De ne pas sentir, de ne pas sentir surtout ».

L’écriture d’Alejandra Pizarnik est habitée par la souffrance qui a marqué sa vie, entre la solitude extrême dont elle se sentait atteinte, ses addictions diverses, surtout un sentiment d’étrangeté, d’incapacité à être au monde et même, paradoxalement, au langage, qui semblait ne pas constituer pour elle cette attache à la réalité qui est pourtant sa fonction première. Son projet poétique est ainsi intimement lié à cette souffrance, puisqu’elle affirma dans ses journaux que « l’activité poétique impliquerait d’exorciser, de conjurer et, en outre, de réparer », que le poème pourrait « réparer la blessure fondamentale, la déchirure », qu’« en opposition au sentiment d’exil, à celui d’une attente perpétuelle, il y a le poème-terre promise ». Ses poèmes, ciselés et souvent brefs (éblouissants), sont habités d’images obsédantes qui traversent son œuvre : le lilas, les petites-mortes, l’ombre et les oiseaux y créent un paysage de solitude et d’attente sans horizon. Sur le petit tableau noir de sa chambre, qu’elle utilisait pour travailler ses poèmes, elle écrivit en septembre 1972, peu avant son suicide : « Créature en prière / en rage contre la brume // écrit / au / crépuscule // contre l’opacité // je ne veux plus aller nulle part qu’au tréfonds // oh vie / oh langage / oh Isidore » (traduit de l’espagnol par Anne Picard).

Adèle KERGADALLAN

Les traductions en français les plus récentes de l’oeuvre de la poétesse ont été réalisées par Jacques Ancet et Claude Dobenesque aux éditions Ypsilon. Ses journaux, traduits par Anne Picard, sont publiés par la maison d’édition José Corti.