Musicien brésilien et ancien ministre de la Culture sous le gouvernement de Lula, Gilberto Gil est devenu la deuxième personnalité noire à être intronisée à l’Académie Brésilienne des Lettres (équivalent brésilien de l’Académie Française). Avec son ami Caetano Veloso, Gil est à l’initiative de l’album-manifeste Tropicália, mouvement héritier de l’«anthrophagie culturelle» des artistes modernistes.
Photo : Folha de S.Paulo
Les tropicalistes ont mélangé musiques érudites et populaires, influences européennes, africaines et autochtones, marquant profondément la culture brésilienne et choquant les réactionnaires. Les textes de Gilberto Gil, engagés sans être explicites, censure oblige, valorisent la culture afro-brésilienne et la poésie concrète (notamment avec Batmacumba, véritable calligramme musical). Il a également fait des albums de reprises en hommage à ses grandes influences telles que le roi du baião (rythme du Nordeste) Luiz Gonzaga, le roi du reggae Bob Marley et le roi de la bossa nova João Gilberto.
En soixante ans de carrière, il a inondé le Brésil de tubes, composant pour lui et pour d’autres (comme sa muse Gal Costa). Artiste de renommée internationale, Gilberto Gil est un habitué des festivals de jazz. Son entrée à l’ABL est une revanche historique pour cette légende vivante de la Musique Populaire Brésilienne qui avait été emprisonnée puis condamnée à l’exil londonien pendant la dictature militaire. Son engagement politique se manifeste également par son adhésion au parti vert brésilien et par son soutien à Onda Azul (ONG travaillant à la protection des eaux du Brésil) ainsi que par sa défense d’une démocratisation de l’accès à la culture, basée sur le partage et la reproduction des œuvres.
Il défend Creative Commons, alternative au copyright basée sur le modèle des logiciels libres. Les écrits de Gilberto Gil incluent l’édition annotée des paroles de ses chansons (Todas as letras, org. Carlos Rennó, ed. Companhia das Letras) et le recueil de ses interventions en tant que ministre (Cultura pela Palavra, avec son successeur Juca Ferreira, ed. Versal). Clairement, le couronnement institutionnel d’une telle figure de la contre-culture est un acte de défiance envers le président Jair Bolsonaro.
Jean-Francis POULET
- L’auteur de cet article nous a envoyé une photo que nous avons accepté : « Ironie du destin, Gilberto Gil avait revêtu un uniforme ressemblant à celui de l’Académie Brésilienne de Lettres sur la pochette de son disque éponyme sorti en mai 68 ».