Après sa première et « intrigante » visite à Moscou, le 16 février, le président brésilien a assuré que son pays va continuer dans la neutralité au sujet du conflit en Ukraine. Pour pallier une éventuelle pénurie d’engrais venus de Russie, Bolsonaro espère légaliser l’exploitation minière dans les réserves forestières indigènes en Amazonie. Plusieurs milliers de manifestants ont protesté devant le Parlement contre la politique environnementale du chef d’État d’ultra-droite.
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Le projet de loi que Jair Bolsonaro et ses alliés tentent de faire adopter à la Chambre des députés vise à « explorer des réserves de potassium et garantir les engrais suffisants pour l’agriculture« , selon Ricardo Barros, leader de la majorité présidentielle. Pays de tradition agricole, le Brésil importe plus de 80 % de ses engrais (20 % de Russie) et 96 % de potassium. Ce métal alcalin est essentiel en agriculture. Utilisé dans les engrais, il sert à renforcer et augmenter les parois cellulaires des plantes, participe à la circulation des enzymes qui contrôlent la croissance et contribue à la teneur en chlorophylle retardant la sénescence des feuilles. Mais, pour certains la prétendue carence du potassium sert en réalité comme excuse pour faire exécuter en toute légalité une manœuvre bien plus salée.
Selon Rodrigo Agostinho, le gouvernement utilise le conflit russo-occidental comme prétexte pour continuer à grignoter l’Amazonie. « Ce projet vise en fait à autoriser des mines qui sont inégales aujourd’hui, a expliqué le député du Front parlementaire écologiste. « Ça n’a rien à avoir avec les engrais. La plupart du potassium se trouve dans d’autres États, pas en Amazonie, et en-dehors des réserves indigènes », a-t-il précisé. Ce projet minier « prédateur et cupide » en zones autochtones a été dénoncé avec virulence par les responsables de l’église catholique brésilienne. Dans un document publié le 7 mars, la Conférence des évêques s’oppose vivement au projet de loi qui constitue, selon eux, « un assaut pour s’approprier des territoires autochtones ».
La protestation contre le « paquet de la destruction » atteignit son apogée le 9 mars. Ce jour-là, plusieurs milliers de manifestants, parmi lesquels d’importants artistes de la scène brésilienne (Daniela Mercury, le rappeur Emicida, le chanteur et acteur Seu Jorge), ont répondu à l’appel du célèbre chanteur Caetano Veloso. « C’est une mobilisation inédite (…), le Brésil vit son moment le plus grave pour ce qui est de l’environnement depuis le redémocratisation« , a déclaré Veloso lors d’une audience au Sénat faisant référence aux années de plomb de la dictature de 1964 à 1985. Avant de rejoindre la manifestation, le chanteur connu pour son engagement durant le régime militaire a ajouté avec lucidité : « la déforestation est hors de contrôle, la violence contre les indigènes ne cesse d’augmenter et notre crédibilité internationale est au plus bas« .
Quoi qu’il en soit, Jair Bolsonaro et ses acolytes espèrent avec impatience voir approuvées ces lois qualifiées de « désastreuses » par les écologistes. Et pour étayer son controversé projet de politique environnementale, le lendemain des manifestations le président brésilien a présenté un plan destiné à réduire la dépendance du pays aux engrais étrangers. Bolsonaro a insisté sur les avantages de l’exploitation minière dans des zones forestières d’Amazonie réservées aux populations autochtones : « Ils (les indigènes) sont pratiquement comme nous, ils veulent exploiter leur terre ; cela est très bien pour nous, et c’est très bien pour le monde« , a assuré l’ancien militaire parachutiste lors de la cérémonie de présentation du Plan Nationale de Engrais.
Dans ce domaine, le chef de l’État vient de décréter un « régime d’urgence » à la suite du conflit en Ukraine. Selon le gouvernement, les sanctions commerciales prises à l’encontre du Kremlin pourraient entrainer effectivement une pénurie d’engrais. Ainsi le décret d’urgence joue le rôle de raccourci dans le processus législatif traditionnel pour faire voter ces nouvelles lois. Outre-les répercutions du conflit russo-ukrainien sur l’agriculture, un rapport publié récemment par la fondation Getulio Vargas (FGV) indique que le prix du pétrole devrait influer lourdement l’économie de l’Amérique latine et particulièrement le Brésil.
C’est le cas depuis le 10 mars : le baril a atteint son plus haut niveau depuis 2014 et la compagnie pétrolière brésilienne Petrobras a annoncé des hausses importantes du prix de l’essence (18,8 %) et du diesel (24,9 %). Le pays dépend aussi de la production de gaz russe pour alimenter ses centrales thermoélectriques (la Russie est le premier producteur mondial). Rappelons que le Brésil est le principal partenaire de la Russie en Amérique latine depuis la création, en 2011, de la fédération BRICS acronyme de Brésil, Russie, Inde et Chine et république d’Afrique du Sud qui représente dans le commerce mondial le 27 % du PIB.
À sept mois de l’élection présidentielle à laquelle il compte se représenter, Jair Bolsonaro, élu en 2018, conserve un taux de soutien de 28 %, alors que le grand favori reste l’ancien président Luiz Ignacio Lula da Silva (2003-2010) : avec 48 % des soufrages, selon un récent sondage, ce score serait largement suffisant pour emporter la présidentielle dès le premier tour.
Eduardo UGOLINI