À l’occasion de l’ouverture de l’exposition Heliotropo 37 consacrée à la photographe mexicaine Graciela Iturbide, celle-ci était l’invitée de la Fondation Cartier, dans un dialogue avec l’auteur guatémaltèque Eduardo Halfon. La nouvelle « Le lac » résultant de cette rencontre a ainsi été lue publiquement. Retour sur cet évènement. Nous ajoutons en fin de l’article un link pur visionner cette rencontre proposé par la Fondation Cartier.
Photo : Fondation Cartier
Si Graciela Iturbide est une photographe reconnue mondialement depuis les années 1970, Heliotropo 37 constitue la première exposition qui lui est consacrée en France. Du nom de la rue dans laquelle se trouve son studio à Mexico, au Mexique, l’exposition rassemble les séries de photographies en noir et blanc prises au Mexique et dans le monde. Une série en couleurs a également été réalisée spécialement pour l’exposition.
À l’occasion de la rencontre entre l’écrivain guatemalthèque Eduardo Halfon et Graciela Iturbide, Alexis Fabry, commissaire général de l’exposition, a ainsi cherché à expliciter les points de liaison entre les deux artistes. Par ailleurs, le public a pu entendre la lecture publique du « Lac », nouvelle d’Eduardo Halfon à la fois personnelle et inspirée des photographies de Graciela Iturbide. L’intégralité de cette rencontre est mise à la disposition de nos lecteurs grâce à la captation de la fondation Cartier [lien à venir].
Les convergences entre les deux artistes se sont avérées nombreuses, à commencer par le rapport à l’image, qui précède le texte chez Eduardo Halfon. Ainsi, « Le lac » a été composé à partir des photographies de Graciela Iturbide, mais aussi d’images mentales du narrateur évoquant le lac d’Amatitlán et la découverte d’un cadavre, sur lequel s’ouvre le livre « Deuils » (éditions Quai Voltaire, 2018, traduit par David Fauquemberg). Quant à la photographe, elle a expliqué le changement de perception entre la capture de ses photographies et leur traitement en atelier, qui permet de découvrir des détails inaperçus. Une certaine forme d’intuition se retrouve aussi chez les deux artistes, puisque l’auteur a affirmé qu’il ne prévoyait pas à l’avance le contenu de ses livres, tandis que pour la photographe, c’est avant tout la surprise qui la pousse à prendre des photographies. Selon ses propres mots, « [Elle a] cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire qu’ [elle aurait] pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde. ».
L’œuvre de Graciela Iturbide est même constituée de prémonitions, comme lorsqu’elle a pris en photographie une pierre dans un jardin botanique à l’heure exacte du décès de sa mère. Cette anecdote fait entrevoir le rôle de la mort et du deuil dans les œuvres respectives d’Eduardo Halfon et Graciela Iturbide. L’auteur en a ainsi tiré « Deuils », au pluriel en français, le mot espagnol étant polysémique, désignant à la fois le deuil et le duel. Graciela Iturbide, pour sa part, a évoqué le choix des corbeaux comme sujet photographique ainsi que son autoportrait avec un oiseau mort lors du décès de sa fille.
Il faut encore souligner que chez Eduardo Halfon, la mort est déclinée sur le thème du génocide qui hante son œuvre et son passé, en particulier « Le boxeur polonais », qui s’ouvre sur une photographie de son grand-père Leon Tenenbaum. C’est cette réalité du génocide encore très présente au Guatemala qui fait émerger des images de cadavres flottant à la surface dans « Le lac », pour sortir du silence de plomb en la matière. D’ailleurs, le travail de Graciela Iturbide consiste également à rendre visibles des communautés et des territoires trop peu visibles, au Mexique comme au Guatemala, où vivent de nombreuses communautés indigènes. Finalement, la rencontre entre ces deux artistes a illustré l’importance de l’art qui figure l’indicible, même lorsqu’il s’agit de simples pierres ou d’éléments naturels immortalisés par une photographie. C’est la sublimation de l’image par l’art qui réunit Eduardo Halfon et Graciela Iturbide.
Victorien ATENOT
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