Depuis le Chili, nous continuons notre récit de voyage initié précédemment. Cette fois, nous vous racontons des rencontres et des histoires liées à la vie sociale et politique du Chili. Les avancées de la Convention constitutionnelle ainsi que les défis qui attendent le prochain gouvernement du jeune président Gabriel Boric.
Photo : Olga Barry
Après un passage au service des urgences de la Posta central de Santiago, le 24 février, nous avons assisté en présence de tout le staff presse, dans le palais de l’ancien Congrès national (fermé en 1973 par la Junte militaire), à la conférence de presse organisée par la présidence de la Convention Constituante. La Présidente, Maria Elisa Quinteros et son vice-président, Gaspard Dominguez, ont présenté le bilan des avancées notables, abouties au cours des sept mois de délibérations portant sur les différentes propositions, en vue de la nouvelle Constitution destinée à remplacer celle du général Pinochet, datant de 1980.
La Convention constituante se tient tous les jours, dans le palais de l’ancien Congrès national. Les contrôles à l’entrée sont rigoureux et l’obtention d’une accréditation presse n’est guère facile. Les journalistes sont postés sous un grand chapiteau dressé dans le jardin et ils n’ont pas d’accès direct aux assemblées en raison des jauges liées au Covid. Ils suivent donc toutes les présentations et les délibérations en Visio et assistent aux conférences de presse.
Les interventions et les délibérations des 155 membres sont souvent longues, houleuses et les accords difficiles à obtenir. D’autant plus qu’apparemment, aucun porte-parole ne ressort des commissions travaillant sur les projets, et en particulier, parmi les nombreux membres Indépendants. Ainsi, chacun des membres souhaite s’exprimer. Le mardi 15 février par exemple, les votations générales ont débuté sur le thème de la « forme de l’Etat ». Dans l’assemblée plénière, la discussion s’est prolongée jusqu’à 1 heure de matin pour aboutir à l’approbation de 28 des 36 articles. D’après la présidente Elisa Quinteros , “il y a eu trop de paroles inutiles”. Et pourtant, le temps presse car la proposition d’une nouvelle Chartre fondamentale doit être présentée fin juillet ou au plus tard fin septembre de cette année, avant de recourir à la votation référendaire.
En sortant de la conférence, nous avons écouté dans le jardin, les entrevues des équipes de la télévision et des radios nationales et internationales avec certains membres de l’Assemblée et porteurs de propositions déjà votées en assemblée.
En déambulant plus loin, nous avons découvert un ouvrage artistique étonnant, de forme concave et de couleur bleu vif, enfoncé dans la terre, où l’on distingue deux grandes cloches. Ignorant sa symbolique, nous avons abordé deux jeunes femmes qui discutaient, assises sur le bord des gradins, afin d’en savoir un peu plus sur cette œuvre. L’une d’elles, Rayan Cariman, nous a raconté l’histoire de cette œuvre d’art. Il s’est avéré que Rayan Cariman est la personne en charge du protocole de la Convention depuis le début de la constituante.
L’histoire des cloches
Le 8 décembre de 1863, un dramatique incendie a ravagé l’église de la Compagnie de Jésus située dans les jardins de l’ancien Congrès, en plein centre de Santiago. L’incendie a provoqué la mort de près de trois mille personnes (soit 1 % de la population de Santiago de l’époque) qui célébraient l’Immaculée Conception. Face à la gravité de cette tragédie, les autorités ont décidé de ne pas reconstruire l’église jésuite. Parmi le peu de choses qui ont pu être sauvées des ruines, se trouvaient six cloches. La plus grande fut récupérée par les jésuites et fondue afin de fabriquer deux cloches plus petites qui furent ensuite installées dans l’église Ignacio de Loyola construite à Santiago, entre 1867 et 1872.
Trois cloches furent vendues au commerçant anglais William Graham qui les fit expédier en Angleterre depuis Valparaiso. Grâce à des démarches diplomatiques, les cloches revinrent, 150 après, comme cadeau au Chili à l’occasion du Bicentenaire de l’Indépendance et en honneur des victimes du tremblement de terre de février 2010. « Depuis la réinstallation de ces trois cloches dans son lieu d’origine, elles sont devenues un monument patrimonial et historique du pays ». Les cloches resonnent tous les jours à midi.
Rayan Cariman a évoqué ses origines mapuches et nous a fait le récit de l’inauguration de la Convention. En poursuivant notre promenade dans le jardin en sa compagnie, elle s’est arrêtée devant un arbuste, El Canelo. Originaire de l’Amérique du Sud (Argentine et Chili), il est l’arbre sacré des Indiens mapuches, devant lequel el Lonco, autorité Mapuche, s’adresse à sa communauté en temps de paix. El canelo (Drimys winteri) est un arbre toujours vert que l’on trouve également dans le sud de l’Angleterre et dans les îles Faeroe. C’est devant cette plante que s’est déroulée la cérémonie inaugurale de la Convention, en présence de ses 155 membres et trois cents Indiens. «Ce fut une énorme surprise » – nous raconte-elle, «car nous n’en attendions que trente».
« Les débuts de sessions furent chaotiques car le gouvernement n’a rien fait pour faciliter la tâche des constituants : on n’avait pas de micros, pas d’ordinateurs, nous manquions même de papier toilette » nous raconte-t-elle.
Le contexte politique actuel du Chili est très marqué par les avancées de la Constituante et par les débats qui peuvent être suivis par tous les Chiliens à la télévision ou par Internet.
Il y a également les problèmes de sécurité, la recrudescence de la délinquance, notamment, est le sujet numéro un des citoyens de Santiago, délinquance souvent attribuée sans vrais fondements, à l’arrivée toujours massive d’immigrés. Les régions frontalières du nord du pays continuent d’être le théâtre de conflits entre la population locale et les migrants, venus en particulier du Venezuela, à tel point que le gouvernement a décrété l’état d’urgence. Les problèmes d’affrontement dans la zone de l’Araucanie, au Sud du pays, entre des camionneurs, des carabiniers et la communauté Mapuche persistent et s’aggravent. Ces deux grandes questions relevant de la sécurité du pays sont une épine dans l’agenda du nouveau gouvernement du Président élu Gabriel Boric, qui prendra ses fonctions à partir du 11 mars prochain. A suivre…
Olga BARRY
Depuis Santiago du Chili