Les média d’Amérique latine datés du 31 janvier 2022 ont quasiment tous signalés l’entrée, le lendemain, en année lunaire chinoise. Cette omniprésence calendaire du Tigre pékinois ne devrait pas surprendre. La Chine est de plus en plus proche, et en prise continue, avec l’Amérique latine.
Photo : Torok
L’Excelsior au Mexique, El Comercio au Pérou, Listín Diario en République Dominicaine et bien d’autres ont donné à leurs lecteurs les clefs du Nouvel an chinois. « Ce mardi » a expliqué le journal argentin Ámbito Financiero on va assister « à un événement exceptionnel, (…) la communauté chinoise du monde entier va célébrer l’année 4270, (…) le passage du buffle de métal au tigre des eaux ». Un touit présentant les meilleurs vœux de l’ambassadeur en poste à Buenos Aires, Zou Xiaoli, accompagne l’article. La municipalité de la capitale argentine a de façon exceptionnelle illuminé la nuit du 31 janvier au 1er février « l’Obélisque », monument symbole de la ville. Arts martiaux, danse, gastronomie ont été de la partie dans plusieurs parcs de la cité.
L’Université San Ignacio de Loyola de Lima, a saisi cette opportunité festive, pour présenter un ouvrage collectif, intitulé, « Le dragon et le condor, La présence chinoise au Pérou : passé et présent ». L’initiative est révélatrice d’une réalité certes péruvienne, mais qui va bien au delà. La Chine depuis une quinzaine d’années a imposé son évidence commerciale, économique, diplomatique et de plus en plus culturelle, du nord au sud des Amériques latines. A la différence de la Russie qui a bien moins de flèches à l’arc de son influence, la Chine a su créer un réseau interactif multicartes en flux continu.
L’encre d’un accord avec le FMI à peine séchée, le président argentin s’est envolé le 1erfévrier pour Moscou et Pékin. Alberto Fernández, étranglé financièrement tente d’élargir le périmètre des relations vaccinales avec la Russie. L’étape pékinoise a une portée plus ambitieuse. Les deux pays sont liés par un traité d’association stratégique intégrale signé en 2014 par Cristina Kirchner et Xi Jinping. Le 27 janvier 2022, cinq jours donc avant le voyage du premier magistrat argentin, les deux pays ont paraphé un plan quinquennal d’investissements. Il concerne une dizaine de projets, en particulier une centrale nucléaire, « Atucha III », un parc photovoltaïque, et divers réseaux ferroviaires. Cette visite devrait permettre de consolider financièrement ce plan, voire d’en élargir le champ. Ces annonces, et ce voyage, loin d’être des « coups » s’inscrivent dans un processus. Alberto Fernández, à l’occasion de la quatrième exposition commerciale internationale chinoise (ou CHE), le 4 novembre 2021, avait rappelé que cette relation bilatérale « forte », s’inscrivait dans la logique de l’accord d’association stratégique intégrale ».
Les coopérations contractuelles construites par la Chine avec l’Argentine ne sont pas un cas isolé. La quasi-totalité du sous-continent est entrée dans un maillage complexe de relations avec Pékin. Dont la première étape a consisté à obtenir une reconnaissance officielle exclusive, écartant Taïwan, encore très présent en Amérique latine dans les années 1980. Cette étape est quasiment terminée. Avec l’établissement de relations avec le Nicaragua (en 2021), Panamá, (en 2017), la République Dominicaine, (en 2018), le Salvador, (en 2018), et bientôt le Honduras, seuls le Guatemala, Haïti et le Paraguay maintiennent un lien diplomatique avec Taïpeh.
La seconde étape a cherché à pérenniser la précédente en négociant des traités et arrangements bilatéraux. Ce qui a été fait avec l’Argentine en 2014, l’a été aussi avec le Brésil, le Chili, le Costa Rica, le Pérou. D’autres pays la Colombie, le Mexique ont passé des accords moins ambitieux. Plusieurs latino-américains sont partie prenante de la Route de la soie, la Bolivie, le Chili, le Costa Rica, Cuba, l’Équateur, Panamá, le Pérou, l’Uruguay, le Venezuela. Une double offensive sanitaire, avec les vaccins anti-covid, et technologique, avec la 5G a ouvert des perspectives complémentaires.
Dans une troisième étape la Chine a instrumentalisé des canaux multinationaux. Chine et Brésil sont membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud). La Chine échange avec le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Mexique et le Pérou, au sein de l’Association Economique Intégrale Régionale, (ou RCEP).
La quatrième étape a consisté à régionaliser les rapports bilatéraux. Un Forum CELAC/Chine[1] a été mis en place en 2014. Il vise à coordonner les divers canaux de coopération signalés supra, en leur donnant une dimension continentale. La troisième réunion ministérielle de ce Forum, se tenait à Pékin, le 3 décembre 2021. Son objectif affichait l’ambition suivante : « Ensemble pour surmonter les difficultés conjoncturelles et créer de nouvelles opportunités pour construire la communauté d’un futur partagé entre la Chine et l’Amérique latine-Caraïbe ».
Le DANE, Département de statistiques de Colombie, a indiqué qu’en 2021 le commerce avec la Chine avait progressé de 50 %. L’administration chinoise des douanes a elle signalé un accroissement du commerce avec l’Amérique latine, en 2021, de 41,1 %. Les divers projets d’investissement annoncés, ces derniers mois, un port apte à recevoir des porte-conteneurs géants à Chancay au Pérou, la centrale atomique argentine d’Atucha III, la ligne 7 du métro de Santiago du Chili, le métro et le Regiotram de Bogota, la raffinerie de Dos Bocas au Mexique laissent espérer une année du tigre, au moins aussi faste que celle du buffle, pour les intérêts chinois.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] CELAC= Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe