Six décennies après la crise des fusées soviétiques qui a failli déclencher une guerre mondiale atomique, l’Amérique centrale semble aux portes d’un nouveau conflit. Le gouvernement de Vladimir Poutine profère des menaces apocalyptiques comme le fit à l’époque Nikita Khrouchtchev. Retour à la guerre froide après la mobilisation des troupes russes près de la frontière ukrainienne.
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« Les pourparlers ont commencé pour obtenir des réponses spécifiques aux principaux problèmes spécifiques qui ont été soulevés et il y a eu des désaccords sur ces principaux problèmes, ce qui est mauvais ». Ainsi s’exprimait le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, à la suite des négociations de lundi 10 janvier, à Genève, et après la rencontre du mercredi 12 entre la Russie et l’OTAN, à Vienne. De son côté, Serguei Ryabkov, le ministre des Affaires étrangères, a brandi la menace de déployer également les troupes russes en Amérique latine, historique « chasse gardée » des États-Unis, si la grande puissance nord-américaine et l’OTAN ne satisfaisaient pas les demandes de Vladimir Poutine.
Ces demandes portent sur les territoires considérés comme la chasse gardée de la Russie. Ce sont les anciennes nations soviétiques, parmi lesquelles la Géorgie, la Biélorussie et notamment l’Ukraine. Pour comprendre ce qui est en train de se passer, il faut d’abord rappeler quel est le rôle de l’OTAN. L’alliance internationale politico-militaire NATO (d’après le sigle anglais), a pour objectif de garantir la sécurité des pays membres – actuellement 29 –, conformément au principe de défense collective signé lors du traité de Washington du 4 avril 1949 : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties. »
A cet égard, si la crise ukrainienne semble s’étendre jusqu’aux côtes outre-Atlantique, elle est le point d’aboutissement d’un long processus qui a commencé après l’intervention illégale de la Russie en 2014. En effet, devenue l’axe géopolitique des négociations, et principale revendication de Moscou, l’Ukraine a été durement touchée par la politique d’agression menée par le Kremlin depuis sept ans. Surtout dans sa région de l’Est, par le soutien russe aux forces séparatistes contre le gouvernement central de Volodymyr Zelensky. Ce jeune et inexpérimenté président (41 ans) qui, par ailleurs, se trouve politiquement très affaibli après les révélations des Pandora Papers.
Tous les éléments de cette nouvelle crise paraissent ainsi réunis, dans un contexte international qui a pris un nouveau tournant ces derniers mois. Cela, à la suite de la tentative de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord d’incorporer l’Ukraine, ce qui éventuellement pourrait lui permettre de reprendre le contrôle sur la péninsule de Crimée. C’est une situation extrêmement tendue à l’issue pour le moins nébuleuse, c’est la raison pour laquelle, en cas d’échec des pourparlers avec l’OTAN, le Kremlin a doublé la mise dans ces projets expansionnistes. Car aux yeux de Poutine, l’Alliance Atlantique n’a pas laissé les portes grandes ouvertes aux négociations et, en conséquence, il a menacé d’installer durablement des bases militaires au Venezuela et à Cuba. Avec cette idée de se dresser sur ses ergots dans les Caraïbes, et pour preuve que dans l’échiquier international la politique est une partie d’échecs avant d’imposer la logique des armes, voici le message que le président russe envoie aux États-unis : vous osez nous défier dans les territoires que nous voulons récupérer, et qui à l’ère soviétique appartenaient à la Russie, alors nous allons vous provoquer dans ce que vous considérez comme votre arrière-cour stratégique, c’est-à-dire l’Amérique latine.
En réalité, depuis l’année dernière, le général Sergueï ChoÏgou, ministre russe de la Défense, avait réitéré publiquement le soutien de son pays aux partenaires dans la région, à savoir Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. Ce sont en effet les trois pays les plus menacés par l’intransigeance du Captain America, ce qui justifierait, selon le Kremlin, l’appui à ses alliés latino-américains les plus proches. À la suite de cette déclaration, le président Vénézuélien Nicolás Maduro a évoqué la possibilité d’élaborer une carte stratégique incluant la Russie et ses autres alliés : la Chine et l’Iran dont la présence grandissante en Amérique latine a été largement évoquée dans deux de nos articles précédents (1). Mentionnons au passage que l’engagement militaire de la Russie au Venezuela ne date pas d’hier. Un accord de coopération militaire avait été signé en mai 2001 par Hugo Chávez lui-même, faisant de Caracas le principal importateur d’armement russe en Occident (12 milliards de dollars entre 2001 et 2013). En outre, depuis mars 2019 le Kremlin a mis en œuvre le contrat conclu avec Caracas en 2011, notamment avec l’envoi de spécialistes, y compris une centaine de soldats, lors de l’inauguration d’un centre de formation pour pilotes d’hélicoptères de l’armée vénézuélienne.
À présent se joue le dernier acte de ce regain de tension entre l’Ukraine, la Russie et l’OTAN. Le 18 janvier, des troupes russes ont été mobilisées en Biélorussie pour des manœuvres « de préparation au combat », baptisées « Détermination de l’union 2022 », en référence à l’alliance russo-biélorusse. Selon un responsable du ministère russe des Affaires étrangères, son pays dispose ainsi d’une « contre dissuasion » par le biais de mesures « technico-militaires » face à la politique de dissuasion de l’OTAN. Ce propos a été largement diffusé dans la presse de Caracas, et l’affectation de plus en plus importante des moyens militaires russes au Venezuela a fait réagir vivement Juan Guaido. Le chef de l’opposition, autoproclamé président par intérim en janvier 2019, reconnu par une soixantaine de pays (et soutenu notamment par les États-Unis), a dénoncé ce qu’il considère une « atteinte grave à l’indépendance » de son pays, avant d’ajouter que la diplomatie russe « fait simplement du Venezuela un pion dans un jeu géopolitique entre grandes puissances ». De son côté, après l’annonce de l’arrivée des troupes russes en Biélorussie, la réaction de Washington ne s’est pas fait attendre. Ainsi le chef de la diplomatie, Antony Blinken, s’est rendu hier même à Kiev, la capitale ukrainienne, pour le début de sa tournée européenne afin de tenter de désamorcer ce que le porte-parole de la Maison-Blanche qualifie de « situation extrêmement dangereuse ».
En attendant la suite, un texte fondateur peut aider à comprendre les enjeux de cette actualité incandescente, car il a donné historiquement le la à la stratégie expansionniste de l’indomptable Ourse rouge : « Entretenir la nation russe dans un état de guerre continuelle, pour tenir le soldat aguerri et toujours en haleine ; ne le laisser reposer que pour améliorer les finances de l’État, refaire les armées et choisir les moments opportuns pour l’attaque. Faire ainsi servir la paix à la guerre, et la guerre à la paix, dans l’intérêt de l’agrandissement et de la prospérité croissante de la Russie. (2) »
Eduardo UGOLINI
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1 Le litige China-Taiwan en Nicaragua… (6 janvier 2022).
Alliance Iran-Venezuela, une Cocotte-minute… (24 juin 2021)
2. Pierre le Grand (1672-1725), extrait du son testament ou Plan de domination européenne, laissé par lui à ses successeurs au trône de Russie.