Le 14 janvier prochain, un nouveau roman de l’écrivaine argentine sera en librairie. Selva Almada est née en 1973 à Villa Elisa (Entre Ríos, Argentine) et a suivi des études de littérature à Paraná, avant de s’installer à Buenos Aires, où elle anime des ateliers d’écriture. Elle est l’une des écrivains les plus reconnus en Amérique latine ces dernières années. Ses livres ont reçu un excellent accueil critique en France et à l’international. Elle est également l’auteure de Après l’orage, Les Jeunes Mortes et Sous la grande roue.
Photo : Éd. Métailié.
Ce n’est pas un fleuve est le titre de son nouveau roman. Le soleil, l’effort tapent sur les corps fatigués de trois hommes sur un bateau. Ils tournent le moulinet, tirent sur le fil, se battent pendant des heures contre un animal plus fort, plus grand qu’eux, une raie géante qui vit dans le fleuve. Étourdis par le vin, par la chaleur, par la puissance de la nature tropicale, un, deux, trois coups de feu partent. Dans l’île où ils campent, les habitants viennent les observer avec méfiance, des jeunes femmes curieuses s’approchent. Ils sont entourés par la broussaille, par les odeurs de fleurs et d’herbes, les craquements de bois qui soulèvent des nuées de moustiques près du fleuve où le père d’un des trois hommes s’est noyé. Ils se savent étrangers mais ils restent.
À chaque page, le paysage, les éléments façonnent le comportement et la psychologie des personnages qui confondent le rêve et la réalité, le présent et les souvenirs dans la torpeur fluviale.
Dans cet hymne à la nature, Selva Almada démystifie l’amitié masculine, sa violence, sa loyauté. Avec un style ensorcelant, l’auteur vous emporte loin avec un langage brut et poétique où les mots et les silences font partie de l’eau. Ce roman est une caresse de mains rêches qui reste collé à votre peau, à votre mémoire.
Votre roman dresse le portrait d’un monde masculin âpre et la scène inaugurale de Ce n’est pas un fleuve en est probablement la démonstration la plus concrète. Pourquoi écrivez-vous sur cet univers d’hommes ?
Il y a une scène de mon enfance qui se répète dans ma mémoire : mon père part au petit matin à la pêche avec ses amis, il revient deux, trois jours plus tard, sans poissons et avec la gueule de bois. Qu’est-ce qu’ils faisaient pendant ces journées loin de la maison sans femme et sans enfants ? De quoi parlaient-ils ? Ils parlaient ? Ces journées où mon père était un homme qui allait pêcher avec ses copains, des hommes qui ne venaient jamais chez nous, cette parenthèse dans sa vie d’homme marié, ce rituel évidemment masculin m’intriguait énormément. Ce n’était pas quelque chose que j’allais découvrir quand je serais plus grande car j’étais une femme et les femmes ne vont pas à la pêche. J’avais écrit un très court récit (que j’ai dû aller chercher dans mon ancien blog désormais obsolète) qui parlait déjà de ces sorties de pêche. Je pense que je n’écris que sur des choses qui m’ont fascinée quand j’avais six ans. Dans cette source qu’est l’univers masculin dans ma littérature, se reflète le monde entier. Parfois ce paysage s’enfonce dans l’obscurité, dans les tourbillons d’eau. Parfois il est touché par les réverbérations de la lumière sur la surface.
Quels sont les auteurs qui vous ont influencée dans votre rapport avec la nature ?
Je suis née près des grands fleuves tropicaux. Les grands écrivains de cette région sont des poètes : Juan L. Ortiz, Beatriz Vallejos, Arnaldo Calveyra, Madariaga… Il existe une communion intime entre leur écriture et la nature, entre le paysage et tout ce qui y habite : les personnes, les animaux, les arbres. Et il y a aussi un chanteur, Ramón Ayala, « el mensú » (le « journalier »), qui chante également le fleuve et la foret. Pendant que j’écrivais Ce n’est pas un fleuve, je les sentais tous sur moi, derrière moi, devant moi comme des voix venues du futur. Je les sentais en moi, comme dans ce poème de Juan L. qui dit : « Le fleuve coulait en moi avec ses branchages. / J’étais un fleuve quand la nuit tombait, / et les arbres soupiraient en moi, / et le sentier et les herbes s’éteignaient en moi. /Un fleuve me traversait, un fleuve me traversait ! »
Service com Éd. Métailié
Ce n’est pas un fleuve par Selva Almada aux Éditions Métailié . Titre original : No es un río. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba. 128 p.