Un de nos correspondants permanents à Santiago du Chili nous a envoyé une réflexion sur les résultats des dernières élections présidentielles… et les prochains mois à venir dans le cadre d’une profonde réforme constitutionnelle pour laquelle le peuple chilien devra se prononcer en juillet 2022.
Photo : Radio Italia
Ce deuxième tour de l’élection présidentielle chilienne a été vécu comme un cauchemar par tous les Chiliens qui ont choisi depuis deux ans la totale remise en cause du modèle socio-économique en vigueur dans le pays depuis son implantation par la dictature du général Augusto Pinochet entre 1973 et 1990. Car le premier tour, en novembre dernier, avait vu la victoire relative du candidat soutenu par tous les partis de droite ; et pas n’importe quel candidat : celui aux yeux de qui Pinochet avait été le meilleur des récents présidents ; celui qui voulait libérer de leur prison les généraux responsables de tous les meurtres commis sous la dictature !
Pourtant, trois élections avaient eu lieu ces deux dernières années, qui avaient largement soutenu cette remise en cause du pouvoir en place. D’abord un massif « Oui » à l’élaboration d’une nouvelle Constitution confiée à une assemblée constituante élue au suffrage universel et puis l’élection de cette assemblée, disposant d’une majorité des deux tiers lui permettant de faire sauter le verrou imposé par les tenants du statu quo et des élections municipales et régionales ayant bousculé les caciques des partis dominants.
Un cauchemar également, en raison d’une campagne très habile de cette droite, pour expliquer la catastrophe économique qui résulterait de mettre au pouvoir des jeunes sans expérience, qui plus est dominés par un parti communiste qui conduirait le pays. Nombreux semblent avoir été ceux qui ont été sensibles à ce discours de la peur, nous disent ceux qui ont fait du porte-à-porte ! Mais c’était sans compter sur la dynamique qui avait animé les votes précédents, laquelle s’est aussi traduite par une baisse sensible des abstentions (plus d’un million de voix en plus !).
Et maintenant, qui va diriger ? Pas les professionnels de la politique, ceux qui se font élire en permanence, grâce à leur sélection par les dirigeants des partis ! Mais une toute nouvelle génération de jeunes, issus des mouvements scolaires et étudiants, qui se sont développés depuis une quinzaine d’années : los pinguinos comme ils se sont fait appeler (les pingouins) ; dont l’un des dirigeants s’appelait Gabriel Boric. Quelle différence avec une histoire récente, qu’il s’agisse de Salvador Allende ou de François Mitterrand !
Mais il est évident que c’est un véritable défi qui les attend, même si le nouveau président et quelques autres sont déjà députés de la chambre sortante. Et que de nombreux militants expérimentés se sont mis à leur service. Leur expérience de la gestion de l’État reste limitée. Du coup, c’est le pragmatisme qui domine : pas de théories mûries au sein de partis politiques. Et le concept de révolution n’appartient pas à leur vocabulaire. La photo ci-jointe est pour cela significative de l’esprit qui anime tout ce courant ; ainsi que le nom donné à la place où ont lieu les grands rassemblements : « Plaza Dignidad ».
Et cela ne pourrait se modifier par de simples lois, d’autant plus que le Parlement récemment élu n’apporte pas au nouveau président une majorité suffisante pour les faire adopter. Le véritable enjeu maintenant se situe ailleurs : l’adoption de la nouvelle Constitution, en cours d’élaboration par l’assemblée constituante, laquelle dispose d’une majorité suffisante pour la modifier profondément. Le président sortant a fait tout ce qu’il a pu pour entraver son travail ; avec l’élection de Gabriel Boric, la donne est profondément modifiée. Le texte doit être prêt dans quelques mois ; rendez-vous donc en juillet prochain, pour le référendum qui devra l’adopter !
Michel SERUZIER
Depuis Santiago du Chili