Au Chili : l’espoir a vaincu la peur…

Les Chiliennes et les Chiliens se sont mobilisés lors de la présidentielle pour empêcher l’élection du candidat d’extrême droite José Antonio Kast  et surtout pour porter au pouvoir les revendications sociales en faveur d’un Chili plus juste. Cinquante ans après l’élection de Salvador Allende, les enfants et surtout les petits-enfants sont à nouveau porteurs d’espoir pour le Chili, l’Amérique du Sud et, pourquoi pas, pour le monde.  Gabriel Boric a recueilli les votes de quelque 53 % des moins de 50 ans, et près de 70 % des moins de 30 ans.

Photo : Génération

Gabriel Boric a été élu président du Chili en remportant largement le second tour de l’élection présidentielle, avec un score historique de 56 % et un taux de participation inédit depuis le début de la démocratie au Chili. Âgé de 35 ans, le plus jeune président des pays d’Amérique du Sud a su rassembler une coalition de gauche et incarner les aspirations à un projet de transformation et de justice sociale d’envergure, en continuité avec la mobilisation menée depuis octobre 2019 et initiée par les mouvements étudiants et féministes en 2011. 

Gabriel Boric et son équipe, notamment sa directrice de campagne, Izkia Siches, qui a démissionné de la présidence de l’Ordre des médecins afin de l’accompagner, ont su rassembler les Chiliennes et les Chiliens de toute la gauche réunie. Gabriel Boric avait entrepris ce rassemblement, du parti communiste au centre gauche, de la gauche chrétienne aux écologistes, au sein de la coalition progressiste Apruebo Dignidad (« J’approuve la dignité »). Il a été élu ce 19 décembre 2021 sur un programme ambitieux de transformation d’un des pays le plus ultralibéraux du monde. Et il appuie la Convention constitutionnelle qu’il a soutenue dès les prémices alors même qu’une partie de la gauche lui reprochait de s’asseoir à une table de négociation avec le critiqué président actuel, Sebastián Piñera.

Le nouveau président souhaite instaurer un État-providence en mettant en place une grande réforme fiscale qui taxerait en priorité les grandes entreprises et les plus nantis afin de permettre l’accès à la santé, à l’éducation et à un nouveau système de retraite pour tous. La création d’une assurance maladie universelle est au cœur de son programme.

Lors de sa première allocution après la proclamation des résultats, dans un esprit d’ouverture, il a tenu un discours solide ancré dans l’histoire chilienne, il a précisé et insisté sur l’ensemble de ses engagements. Il a réaffirmé sa volonté de modifier le système de retraites par capitalisation individuelle privée et s’est prononcé en faveur d’un régime public et autonome. Il a pris l’engagement d’agir pour la protection de l’environnement et promis la fin du système de l’eau aux mains d’entreprises privées nationales et étrangères. Il a réaffirmé sa défense de l’agenda féministe et LGTB. Enfin, il a mis en avant la pluralité du pays, faisant la part belle aux régions et à la nécessité de redistribuer le pouvoir aussi à ce niveau-là. Il a clôturé son discours avec un clin d’œil symbolique à Salvador Allende et à ce que celui-ci avait dit 50 ans auparavant aux Chiliennes et Chiliens.

Cependant, le nouveau jeune président, qui prendra ses fonctions le 11 mars 2022 comme il est de tradition, aura à faire face aux élites chiliennes puissantes pour mener à bien ses réformes et faire preuve d’équilibre entre l’incertitude des marchés internationaux et l’aspiration d’une société qui demande des changements profonds. Si la droite a été battue lors de ces élections présidentielles, elle est représentée au Parlement, récemment renouvelé, où elle dispose d’un poids énorme. José Antonio Kast lui-même a commencé à se positionner en leader de cette droite.

Sur les marchés se manifeste un léger frémissement : une possible hausse des impôts, par exemple dans le secteur minier, principale source des revenus des exportations du pays et la fin des AFP (retraites par capitalisation) effraient déjà les marchés. Mais Gabriel Boric, s’il ne cache pas son engagement pour un Chili plus juste, a démontré qu’il sait faire preuve de modération. Dans ses nombreuses interventions, entretiens télévisés notamment, il a montré une capacité d’ouverture, un sens politique affûté construit dans les mouvements étudiants mais aussi en tant que parlementaire. Il connaît le Chili, il est clair sur les changements nécessaires pour plus de justice sociale et il sait qu’il doit les mener « pas à pas » (paso a paso), comme il a tenu à le dire à plusieurs reprises mais sans pour autant lâcher l’essentiel. Il devra aussi renforcer le processus constituant que lui-même avait encouragé en 2020 lors de l’explosion sociale. Sa visite à la Convention constitutionnelle dès le 2e jour de son élection, s’inscrit dans cet esprit. Il doit maintenant composer son cabinet et son équipe qu’il s’est engagé à présenter d’ici le 22 janvier. Une équipe plurielle, diverse, paritaire à l’image du Chili.

Lorena ESPINOSA-VENOT

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