Bons baisers de Limón, premier roman graphique d’Edo Brenes, nous transporte dans une saga familiale sous le soleil du Costa Rica. Un album plus complexe qu’il n’y paraît. Aux éditions Casterman.
Photo : Casterman
À Limón, petite ville du Costa Rica sur la côte de la mer des Caraïbes, le jeune Ramiro, étudiant à Londres, retrouve sa famille. Dans l’idée d’en tirer un livre, il se plonge dans les albums photos familiaux des années 1940 à 1960. Durant son séjour, au travers de discussions avec les membres de sa famille, il va retracer la vie de Virgilio, son grand-père, Rosario, sa grand-mère, et Osvaldo, le frère aîné de Virgilio. Mais ce qui n’était qu’une remontée nostalgique dans le passé va mettre à jour un secret bien gardé.
A l’origine de Bons baisers de Limón, il y a les souvenirs de l’auteur et de sa famille, et plus d’un millier de photos en noir et blanc. Ces récits, collectés depuis une dizaine d’années, ont d’abord donné lieu à une histoire courte récompensée par le prix The Observer / Cape / Comica Graphic short story en 2019. Edo Brenes l’a ensuite intégrée à un roman graphique de grande ampleur, mêlant réalité et fiction, passé et présent, histoire personnelle et universelle.
Chacun peut se retrouver dans la démarche de l’auteur, même si rares sont ceux qui creusent l’histoire familiale. Nous avons tous un jour regardé ces photos oubliées où nos parents et grands-parents affichent une jeunesse que nous n’avons jamais connue, et rêvé aux histoires qui se cachent dans ces images. Ici, les vieilles photos servent de support aux récits des souvenirs, instantanés figés pouvant recevoir aussi bien des anecdotes légères que des drames.
En plus de ce procédé, Edo Brenes a mis en place tout un ensemble de codes graphiques et scénaristiques qui donnent une construction multistrates intelligente à l’album. Les trois niveaux de récit, le présent, les souvenirs et l’histoire de Rosario, Virgilio et Osvaldo, ont chacun leur propre gamme colorée, toutes ayant en commun une douceur des tons. De plus, mis à part les trois principaux protagonistes, une typographie spécifique est attribuée à chaque personnage, mettant en exergue la singularité des voix et l’importance de la transmission orale des histoires. Et par ce jeu de succession cyclique entre les différentes formes de récit et d’époques, l’auteur réussit à apporter un rythme et du lien entre tous les éléments, de façon claire et fluide.
Au premier abord, l’album semble être une histoire aux accents de nostalgie sous le soleil, où tous les problèmes ont été gommés par le temps, ne laissant que l’insouciance de la jeunesse entre plage, sorties en vélo et matches de foot. Rien ne semble perturber ce coin de paradis, pas même la guerre civile de 1948, ou la réputation dangereuse de cette région pauvre. Mais petit à petit des éléments viennent assombrir le tableau. Alcoolisme, grande pauvreté, disparitions brutales, poids de la société sont autant d’évocations discrètes qui parsèment l’album et viennent complexifier tant le récit que les personnages.
Avec Bons baisers de Limón, Edo Brenes nous offre un roman graphique qui mêle autobiographie et fiction, amour et vengeance, paysage de carte postale et drame social. Pour sa première bande dessinée, le jeune auteur costaricain a réussi à créer une oeuvre intelligente et sensible à la fois. Une très jolie découverte.
Service COM – Casterman
Bons baisers de Limón, D’Edo Brenes, 280 pages, 23€ – Casterman – Visuel : © Casterman – Brenes