La COP26 de Glasgow s’est clôturée il y a quelques jours, apportant son lot de promesses de la part des politiciens et de frustrations pour les activistes présents en Écosse. Chaque année, les COP rassemblent les gouvernements du monde entier autour de la question du changement climatique. L’occasion de se pencher sur l’implication des pays d’Amérique latine dans cette vingt-sixième COP et comment ceux-ci intègrent ce défi global dans leurs politiques d’États respectives.
Photo : Presse COP
Bien que le réchauffement climatique soit un enjeu global, tous les pays ne sont pas égaux face à cette menace. Le continent latino-américain serait probablement un des plus affectés. En effet, huit des dix pays les plus vulnérables face aux effets du changement climatique se trouvent dans cette région. Et les conséquences du réchauffement sont déjà bien visibles, avec une multiplication « d’anomalies météorologiques » ces dernières années. En 2020, le sud de l’Amazonie a subi l’une de ses pires sécheresses jamais enregistrées, entrainant une multiplication des feux de forêt. L’Amérique centrale connait des épisodes d’ouragans et d’inondations à répétition. L’année passée, le Guatemala a perdu près de 80 % de sa récolte de maïs à cause des intempéries.
Dans les Caraïbes, la situation est encore plus critique. À la tribune de la COP26, Mia Mottley, Première Ministre de la Barbade, rappelait qu’une augmentation des températures au-dessus des 2 degrés entrainerait la disparition pure et simple de nombreuses îles des Caraïbes. Dans un discours poignant, elle interpella le monde entier sur la condamnation à mort que signifie le réchauffement climatique pour les sociétés caribéennes. Alors que la responsabilité des pays industrialisés de l’hémisphère nord dans ce phénomène est souvent pointée du doigt, les premières victimes du réchauffement climatique se trouvent bien souvent éloigné de ces latitudes. Et le fond visant à aider les « populations du Sud » à relever les défis posés par le changement climatique est jugé largement insuffisant. Mais au-delà de cette division du monde entre pollueurs et pollués, dans cette bataille globale, quel rôle peut jouer l’Amérique latine ?
Un activisme traditionnel renouvelé.
La participation de la société civile latino-américaine dans ce genre de sommet pour le climat est historique. En effet, les dirigeants des populations indigènes d’Amérique latine sont régulièrement invités pour témoigner des effets de la déforestation ou de la perte de biodiversité. En tête de tous les cortèges, leur participation à la COP26 fut largement médiatisée. Pour Abigail Hualinga, du peuple quechua de l’Équateur, « 80 % de la biodiversité a pu être conservée grâce à l’action des populations autochtones. Nos voix, nos propositions doivent être entendues dans toutes les conventions internationales sur le changement climatique. »
En ce sens, le financement pour les populations autochtones a été structuré autour d’un fond d’1,7 milliard de dollars pour l’Alliance mondiale des collectivités territoriales. Cette annonce a été accueillie de façon mitigée par les représentants indigènes. Bien qu’ils soulignent, enfin, l’importance de ces acteurs et territoires dans la lutte contre le changement climatique, ces fonds sont souvent inaccessibles pour les populations autochtones. Pour Eileen Mairena Cunningham, du Comité de coordination mondial des peuples autochtones pour le développement durable, « un accès direct et adéquat aux fonds par ces populations est capital. »
En plus des revendications indigènes, depuis maintenant quelques années, à l’image de ce qu’il se passe sur le sol européen avec la mobilisation des Jeunes pour le Climat, la délégation latino-américaine est accompagnée d’un réseau de jeunes activistes venant de toute la région. Sous la bannière Latinas for Climate, une cinquantaine de jeunes militantes se sont rendues à Glasgow afin de faire entendre la voix de la jeunesse latino-américaine et de reprendre le contrôle sur la narration autour du changement climatique.
L’arbre brésilien qui cache la forêt
Les Sommets pour le Climat s’avèrent être également une magnifique tribune de diplomatie publique. Après le fiasco de la COP25 madrilène et alors que ses postures climato sceptiques sont de notoriété publique, l’équipe ministérielle de Jair Bolsonaro a voulu laver plus vert que vert en Écosse. Quelques jours avant le début des festivités, son nouveau ministre de l’Environnement, Joaquim Leite, dévoilait le plan d’action brésilien pour lutter contre le changement climatique. Dans la foulée, le Brésil, qui héberge 60 % de la forêt amazonienne, s’engageait en déclarant dans le Forest deal, pour un financement à hauteur de 16 milliards d’euros, visant à enrayer la déforestation d’ici 2030.
Comment expliquer ce changement d’attitude ? Au-delà de l’exercice de diplomatie publique, les pressions internationales commençaient à s’accumuler sur les épaules de Bolsonaro. En Europe, le traité de libre-échange Union-Européenne/Mercosur est pour le moment bloqué tant que de nouvelles garanties environnementales de la part du Brésil ne sont pas assurées. Aux États-Unis, un groupe de quinze sénateurs a également signé une lettre, conditionnant la coopération militaire avec le Brésil mais également le soutien américain à la candidature brésilienne à l’OCDE aux résultats du pays dans la lutte contre la déforestation. Pour couronner le tout, une quarantaine de grandes entreprises européennes ont menacé de boycotter les produits agricoles brésiliens face à l’inaction du gouvernement Bolsonaro en Amazonie.
Face à ces menaces, la COP26 était la plateforme de green-washing idéale pour Bolsonaro, bien que personne ne soit dupe. En effet, depuis sa prise de fonction en 2019, le président a encouragé l’exploitation commerciale de la plus grande forêt tropicale du monde. Depuis le début de son mandat, l’Amazonie brésilienne perd 10.000 km² de forêt par an, contre 6.500 km² les années antérieures. Son gouvernement a aussi réduit le financement des institutions publiques dédiées à la préservation de l’environnement. En 2020, avec un monde au ralenti, alors que les émissions globales de CO2 baissaient de 7 %, au Brésil, elles ont augmenté de 9,5 % en raison de la déforestation.
À l’ombre des colosses immobiles, les petits pays se mobilisent
Alors que les grands pays du continent sont souvent vus comme des mauvais élèves sur le plan climatique, la diplomatie publique des petits pays de la région est plus positive. Alors que le Costa Rica est l’exemple le plus évident de diplomatie climatique réussie, la COP de Glasgow a fait surgir de nouveaux acteurs. Le gouvernement équatorien a profité de l’évènement pour annoncer la création d’une nouvelle réserve marine dans le paradis de la biodiversité des îles Galápagos. Ce nouveau territoire protégé, d’une superficie de 60.000 km², vient s’ajouter aux 138.000 existants. Quant au Panamá et au Suriname, ils sont, avec le Bhoutan, les seuls pays au monde à être considérés désormais comme carbone négatif. Cela signifie concrètement qu’elles sont les seules nations à absorber plus de gaz à effet de serre qu’elles n’en émettent du fait des activités humaines. Au Panamá, 33 % du territoire est protégé, ainsi que 30 % des espaces marins et une vaste politique publique d’éducation environnementale est en développement Alors que la déforestation dans le pays reste un problème majeur, le gouvernement a décidé de promouvoir la plantation de 50.000 ha de forêts d’ici 2050.
Finalement, une myriade de petits États latino-américains, principalement les îles des Caraïbes, mais aussi la Colombie et l’Uruguay, se sont engagés dans la « High Ambition Coalition ». Cette coalition rassemble les pays désireux d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ils s’engagent sur quinze objectifs, notamment sur la réduction des émissions mondiales de méthane d’au moins 30 % par an par rapport au niveau de 2020 et sur des mesures pour réduire les émissions de super polluants (notamment les hydrofluorocarbures et le carbone noir).
Des engagements dans le multilatéralisme climatique
La COP26 est également l’occasion de souscrire à de nouvelles alliances internationales dans de nombreux secteurs. C’est ainsi que dix-sept pays de la région (dont l’Argentine et le Pérou) sont devenus membres de l’Alliance Solaire Internationale qui, le 2 novembre, lança la plus grande coalition en faveur de l’énergie solaire : « Green grids. One sun, one world, one grid ». Ce vaste projet vise à accélérer la construction de grandes centrales solaires et d’interconnecter les réseaux électriques. L’objectif est de créer un réseau transnational permettant aux pays de s’approvisionner en énergie solaire dans des régions où il fait jour pour répondre à leurs besoins en énergie verte, même lorsque leur propre capacité solaire ne génère pas d’énergie. En plus de la signature très médiatisée du Brésil, le Forest deal a également été approuvé par treize autres pays de la région riches en ressources forestières, notamment par la Colombie, l’Équateur, le Pérou, l’Argentine et le Mexique. Ces deux derniers pays, importants producteurs mondiaux de viande bovine, se sont également engagés à diminuer de 30 % leurs émissions de méthane de 2020 à 2030.
Du bla bla bla ?
Toutes ces annonces, bien que positives, paraissent bien dérisoires face à l’ampleur de la situation. La grande majorité des pays de la région manque de perspective dans leurs politiques environnementales et peu peuvent compter sur un plan d’action à long-terme de réduction de leurs émissions, allant jusque 2050 par exemple. Il est intéressant de constater que si certains pays du continent se mobilisent, l’absence d’ambitions climatiques des trois grandes économies régionales (Brésil, Mexique et Argentine) convertissent l’Amérique latine en nain dans le débat climatique. Le Climate Action Tracker qui a passé au peigne fin les plans de réduction d’émissions avancés par le Brésil, l’Argentine, le Mexique et la Colombie les a tous jugés insuffisants ou extrêmement insuffisants. De plus, le Mexique est l’un des seuls pays au monde à ne pas avoir augmenté l’ambition des objectifs qu’il s’était fixé en 2015.
Ce manque d’engagement reflète bien la pauvreté du débat politique sur cette question en Amérique latine, souvent orienté par des priorités de court-terme. Les mesures environnementales sont souvent perçues comme limitantes, comme un coût, des entraves à la bonne santé des sociétés extractivistes. Cependant, le retour de bâton face à cet immobilisme pourrait mettre en péril les économies de la région. Une étude de la CEPAL démontre en effet qu’une absence de planification du changement climatique pourrait entrainer une baisse de 25 % du PIB en 2050 alors qu’une implication dans la transition écologique entrainerait la création d’emplois et d’investissements. L’Amérique latine peut en plus de cela compter sur son incroyable richesse naturelle. Accueillant près de 40 % de la biodiversité mondiale, le continent est une mine de ressources infinies pour trouver des solutions au réchauffement climatique basées sur la nature. Il est donc fondamental que les gouvernements d’Amérique latine prennent finalement en compte le changement climatique dans leurs actions politiques, étant donné les implications énormes de celui-ci sur le futur de la région, de ses populations, de son patrimoine naturel et de ses économies. Car comme le rappelait le secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres, à la tribune de Glasgow, « les six années écoulées depuis l’Accord de Paris sur le climat ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Notre dépendance aux combustibles fossiles pousse l’humanité au bord du gouffre. […] Il est temps de dire « assez ». Assez de brutaliser la biodiversité, de nous tuer avec du carbone, de traiter la nature comme des toilettes, de brûler, de forer et de miner notre chemin dans les profondeurs. La seule chose que nous creusons, ce sont nos propres tombes. »
Romain DROOG