L’Amazonie du Venezuela est fortement impactée par une intense activité minière que le gouvernement a lancée en 2016. À la dégradation de l’environnement de cette région s’ajoutent des violences, des maladies, des altérations irréversibles de l’écosystème. En France, des ONG lancent l’alerte sur ce contexte ignoré.
Photo : Vaticana
Quatre voix de femmes s’élèvent face au public parisien de la Maison de l’Amérique latine, un vendredi de novembre 2021. Quatre voix pour éveiller les consciences au drame silencieux qui se joue loin de là, en Amazonie vénézuélienne. Si loin mais pourtant si proche dans l’Histoire : en 1951, c’est une expédition franco-vénézuélienne qui était célébrée pour avoir trouvé les sources du grand fleuve Orénoque* dans une montagne située au cœur de l’Amazonie, au sud-est du Venezuela.
Ces terres qui nourrissent notre imaginaire d’images idylliques sont aujourd’hui maltraitées, et ses peuples ancestraux, consumés par la voracité d’autres humains. L’exploitation minière existe depuis longtemps au Venezuela, dans cette même région, mais elle n’avait jamais connu l’ampleur qu’elle a atteinte en quelques années seulement, accompagnée de ses destructions et de ses violences, témoignent les ONG.
Le mercure qui sert à extraire l’or des rivières pollue les sols plus que jamais, s’insinue dans le sang des femmes, provoquant avortements et maladies incurables, la malaria presque éradiquée dans le pays réapparaît avec force, la végétation et la faune cèdent la place aux cratères béants et jaunâtres de mines, spoliant les sols de manière irréversible, la criminalité et la prostitution envahissent le quotidien, les armes parlent et la cupidité n’a pas de limites. Car le sol de ces terres est riche : or, diamant, coltan, cuivre, bauxite, fer….
Trop de richesses
L’Amazonie du Venezuela s’assèche, se racornit et s’empoisonne en toute discrétion, victime d’un dessein estampillé « légal » par les autorités depuis 2016 sous le nom d’Arc minier de l’Orénoque, qui consiste à exploiter activement les ressources minières de l’Amazonie vénézuélienne sur un territoire de 112 000 km2. Sans consultation préalable des peuples autochtones sur le terrain, comme le prévoit pourtant une loi vénézuélienne. Sans égard pour les préoccupations environnementales et les alarmes qui sonnent partout dans le monde. Mais avec des clients prêts à fermer les yeux sur les conséquences de ces activités, et un gouvernement désireux de diversifier ses ressources, essentiellement assises sur la manne pétrolière. Les revenus potentiels issus de l’exploitation minière en Amazonie vénézuélienne pourraient être estimés à quelque 136 milliards d’euros, selon un calcul des réserves élaboré en 2018 par le ministère du Développement minier écologique du Venezuela (MPPDME).
En principe, cette région du sud du Venezuela abrite huit parcs nationaux, deux réserves de biosphère et une vingtaine de sites d’exception répertoriés. Dans les faits, comme en attestent des images satellite et le travail de chercheurs, l’Arc minier dévore ces zones protégées, notamment le parc de Canaima, classé au patrimoine mondial, où se jette la plus haute chute du monde, le Salto Ángel, et le parc Yapacana. Il dévore aussi tout le reste, à savoir 12 % du territoire vénézuélien, de façon légale ou illégale, l’extension des activités officielles ayant aussi attiré les convoitises de groupes illégaux qui s’imposent par la force. Des sources telles que l’ONG SOS Orinoco, de portée internationale, évoquent la présence sur le terrain de groupuscules de la guérilla colombienne, l’ELN et les Farc, dissidents du mouvement armé démobilisé en Colombie.
Permis de détruire
C’est ce « permis de détruire l’Amazonie“ que sont venues dénoncer des militantes d’ONG en France, membres d’’’Embajadores Del Orinoco’’ (Ambassadeurs de l’Orénoque) et ‘’Watunna Venezuela’’**, ainsi qu’une cinéaste et une jeune femme engagée, membre de l’association vénézuélienne ‘’Diálogo por Venezuela’’ **. “Ce texte du gouvernement vénézuélien, le décret sur l’Arc minier, a été ratifié en totale contradiction avec toutes les normes constitutionnelles, les lois vénézuéliennes ainsi qu’avec les traités internationaux“ sur la protection de l’environnement, l’environnement, martèle Sonia Zapata, avocate et membre de Embajadores del Orinoco. « On évoque beaucoup les terribles incendies de l’Amazonie brésilienne, mais personne ne parle de la destruction de l’Amazonie vénézuélienne, alors que les conséquences de cette activité minière et de la déforestation sont considérables. C’est une catastrophe environnementale et sociale. »
Les conséquences pèsent ainsi lourdement sur les communautés indiennes qui, dans cette région, sont réparties en une quinzaine d’ethnies. À la destruction du couvert forestier s’ajoutent la promiscuité forcée et les affrontements autour de la prise de possession des mines, générant un climat de violence. En juillet 2020, le Haut-commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme décrivait « un contexte généralisé d’exploitation par le travail et des niveaux élevés de violence exercée par des groupes criminels qui contrôlent les mines dans la région. »
La réalisatrice vénézuélienne Margarita Cadenas, établie en France, est consternée. Elle qui a signé plusieurs films sur l’Amazonie de son pays et le peuple Yanomami*** témoigne que « les chamanes m’ont toujours ouvert les portes, (…) et même dans la difficulté du tournage ou du budget, ils ont cru à mon projet. Dans le contexte actuel, je ne pourrais plus le faire. » Des lieux symboliques tels que “l’arbre de la vie“, une montagne sacrée, sont détruits par l’exploitation minière, rapporte-t-elle. Elle parle aussi de peuples autochtones « transformés par une logique marchande inexistante dans leur culture. »
Pas d’infos
L’information officielle sur l’Arc minier est rare. En 2019, un collectif vénézuélien contre l’Arc minier réalisait un rapport préliminaire à la visite d’inspecteurs de l’ONU dans le pays. Les auteurs écrivent : « trois ans après sa ratification, aucune information détaillée n’a été diffusée [par les autorités] sur son exécution, sa gestion et ses conséquences, ni sur les accords signés avec des entreprises (…). Il n’y a pas d’information sur les pages web du Ministère des Mines ou d’autres organismes compétents en la matière. » **** Voici quelques mois, l’ONU a demandé au gouvernement vénézuélien de permettre l’entrée d’une mission d’inspection dans le parc Canaima afin d’évaluer les dégâts potentiels de l’exploitation minière. En novembre, la réponse du gouvernement n’était pas connue. Le grand fleuve Orénoque n’en abrite pas moins des secrets inavouables.
Sabine GRANDADAM
* Archive du Monde en 1951, les sources de l’Orénoque
** Embajadores del Orinoco : https://emborinoco.org/
Watunna : https://www.watunna.org/nous
Diálogo por Venezuela
*** Cenizas eternas, Margarita Cadenas
**** https://www.unilim.fr/trahs/2210#tocto1n2