Au Brésil : Avis de tempête modérée sur Jair Bolsonaro

Neuf chefs d’accusation passibles de dizaines d’années de prison soufflent un vent mauvais sur le président brésilien, après la publication d’un rapport de sénateurs sur la gestion de la pandémie au Brésil. Cette nouvelle étape dans les dénonciations qui se sont succédé depuis plusieurs années contre le chef de l’État peut-elle mettre fin à la carrière de l’ancien militaire ?

Photo : News Swiss

Jair Bolsonaro fait comme si de rien n’était, mais il se cherche de nouveaux amis (et il en trouve en ce moment de tractations de pré-campagne électorale). Des amis dans son pays, car au G20 comme à la COP26, le président brésilien a paru bien isolé : tout le monde le boude. Il faut dire que les dernières nouvelles de son mandat, notamment celles qui concernent sa gestion de la pandémie depuis mars 2020, ne sont pas très flatteuses. Et cette fois, ces nouvelles reposent sur le travail de longue haleine d’une commission sénatoriale. 

Le 20 octobre dernier, à l’issue de six mois de travail, cette commission d’enquête du Sénat brésilien (CPI) a rendu son rapport de plus de mille pages sur la gestion de la pandémie par le président Bolsonaro, son gouvernement et des responsables locaux. La CPI a demandé des poursuites pénales contre le président et 77 autres personnes, dont les trois fils de Jair Bolsonaro. Neuf chefs d’accusation ont été présentés, dont celui de “crime contre l’humanité“, qui ouvre la voie à une requête auprès de la Cour pénale internationale de La Haye. 

Une semaine plus tard, ce lourd dossier de la CPI était déposé sur le bureau du procureur général fédéral du Brésil, Augusto Aras, et sur celui d’un juge du Tribunal suprême (STF), Alexandre de Moraes. Une partie du document a également été remise au parquet de l’État de São Paulo, qui instruit une sordide affaire dite Prevent Senior, liée à l’application sur six cents patients, sans leur consentement, d’un traitement expérimental anti-Covid basé sur l’hydroxychloroquine, dans un groupe hospitalier appartenant à des mutuelles privées, Prevent Senior.  La justice doit maintenant suivre son cours, souvent chaotique et indéchiffrable au Brésil. 

Pas d’orage immédiat en vue 

Les mots sont tranchants qui reprochent au président d’avoir délibérément exposé sa population au Covid-19, en réagissant avec lenteur, en refusant tout confinement et mesures barrière, en fustigeant les élus locaux qui imposaient ces mesures, en refusant la mise à disposition de services et d’infrastructures de soins et en écartant d’emblée toute idée de vaccin, lorsque les laboratoires commencèrent en 2020 à proposer des précommandes. Et bien sûr, en défendant, aujourd’hui encore, l’hydroxychloroquine, au mépris de la vaccination. 

“Apologie du crime““propagation d’une épidémie““prévarication“ ou encore “charlatanisme“ et “crime en responsabilité“ sont autant d’accusations portées par le texte des sénateurs contre le dirigeant et son entourage. Sans oublier l’accusation de crime contre l’humanité pour avoir, en particulier, refusé toute assistance aux populations amérindiennes, une attitude qui a par exemple conduit à des milliers de décès évitables en Amazonie, à Manaus, faute d’oxygène, au plus fort de la pandémie. 

En février dernier, l’ONG américaine Human Rights Watch dénonçait déjà la plupart de ces crimes et dérives [voir l’article alors publié par Nouveaux Espaces latinos ici]. 

Que risque Jair Bolsonaro face à ces accusations ? Dans l’immédiat, et sans doute jusqu’à la fin de son mandat en octobre 2022, pas grand-chose. L’intéressé a d’ailleurs dénigré le travail des parlementaires, estimant qu’ “il aurait été si bon que cette CPI fasse quelque chose de productif pour notre Brésil.“ Le président se défend de toute mauvaise gestion de la pandémie, affirmant n’avoir rien à se reprocher, lui qui se qualifie “de général sur le champ de bataille“ et continue de vanter les mérites de l’hydroxychloroquine en dépit de toutes les conclusions scientifiques mondiales sur ce médicament pour traiter le Covid-19, Bolsonaro a assuré à plusieurs reprises que le vaccin allait “transformer les gens en crocodiles“

Une bonne centaine de demandes de destitution depuis le début du mandat du président sont restées lettres mortes. À la chambre des députés, également saisie par la commission pour une accusation de “crime en responsabilité“ qui pourrait ouvrir un procès en destitution, Jair Bolsonaro compte un allié en la personne du président de la chambre basse, Arthur Lira. De même, certains analystes supposent que le procureur général Augusto Aras, réputé proche du chef de l’État, ne fera rien, comme cela s’est déjà produit pour d’autres plaintes contre son protégé.

D’autres commentateurs avancent toutefois que le procureur y réfléchira à deux fois avant de ne rien faire, compte tenu de l’émotion suscitée par l’enquête et de la pression politique qui s’exerce pour obtenir des réponses de la justice. M.Aras a déclaré qu’il rendrait ses conclusions sous trente jours. “Le ministère public devra avoir une baguette magique pour ne pas demander de sanction à quiconque“ [des personnes accusées par le rapport] a déclaré le président de la commission sénatoriale, Omar Aziz

Payer pour ses crimes

C’est toutefois du Tribunal suprême, également saisi, que Bolsonaro et plusieurs ministres de la Santé risquent de voir l’orage gronder plus fort. Le juge du Tribunal, Alexandre de Moraes incarne depuis longtemps la résistance au président, bien évidemment dans le cadre de ses prérogatives institutionnelles. 

La Cour pénale internationale, enfin, pourrait bien se saisir des accusations portées par la CPI sur le dossier des populations indigènes maltraitées et ignorées par le gouvernement – et par l’un des gouverneurs locaux. Plusieurs ONG et organisations amérindiennes brésiliennes ont d’ailleurs déjà déposé des demandes de poursuites contre Jair Bolsonaro auprès de la Cour de La Haye, pour génocide et écocide. “Nous voici à une époque qui restera dans l’histoire de toute personne ayant une conscience, écrit une éditorialiste* dansEl Pais Brasil. De tous ceux qui attendent impatiemment de voir le Brésil redevenir un pays plus digne, où ceux qui commettent des atrocités paient pour leurs crimes ».

Le Brésil est l’un des pays comptant le plus de décès par Covid-19 en rapport avec sa population de 214 millions d’habitants : 610 000 personnes ont succombé au virus. Le 26 octobre dernier, YouTube et Facebook ont suspendu temporairement le réseau social de Bolsonaro après la diffusion par le président brésilien d’une vidéo mensongère laissant entendre que le vaccin contre le Covid-19 favoriserait l’apparition du sida chez les patients. Il n’est que temps qu’au Brésil, la justice s’active pour de bon, mais ce sont certainement les urnes qui, en 2022, viendront à bout d’un président qui n’en est pas un.

Sabine GRANDADAM