Du 13 au 30 octobre 2021, le Festival Sens Interdits est de retour dans toute la métropole pour « nous interpeller, nous bouleverser et nous ouvrir sur le monde ». Le Chili est à l’honneur cette année avec cinq spectacles.
Photo : Sens Interdits – Chili
« Interpeller, bouleverser, ouvrir » écrit le directeur, Patrick Penot : le Festival ne propose pas essentiellement des divertissements, c’est entendu. Le projet est de faire une place à des créateurs qui développent des problématiques portées par la parole des plus faibles ou des plus mal médiatisés. Théâtre politique alors ? Non plus ou alors sans dimension propagandiste. Au fil des dix éditions biennales on a vu se dessiner un théâtre du réel, un théâtre de l’urgence, un théâtre documenté où sont mises au jour des réalités sociales banales ou extraordinaires, des injustices mal connues, non reconnues et en tout cas non représentées sur scène ou dans le débat politique.
« Le théâtre, c’est quelqu’un qui prend son bien partout où il le trouve, et qui prend des objets qui ne sont pas faits pour lui, et les met à la scène. » écrivait Antoine Vitez. On peut parler de « théâtre engagé et engageant ». Le Chilien Danilo Llanos, auteur de Feroz, donne par exemple la parole à des adolescents de maisons de redressement, « lieux d’abus, de maltraitance et de mort ». Il dit : « Nous, les adultes, avons parlé beaucoup, désormais c’est aux enfants de raconter. » Autre exemple, Space Invaders de Marcelo Leonart met en scène quatre femmes qui tentent de croiser les indices d’une mémoire qui leur échappe. « Celle de leur enfance sous la dictature chilienne. Celle d’une génération qui a assisté, impuissante, à l’horreur. »
Ce théâtre prend donc à bras le corps la réalité, les blessures qui se voient et celles qui ne se voient pas et il tente parfois des esthétiques et des dispositifs originaux qui brouillent les frontières, bousculent les relations entre acteurs et public, traversent les démarcations entre domaines d’action et de représentation. « Je me frotte à la frontière entre art, social et militantisme » écrit le metteur en scène suisse Yan Duyvenda, auteur de Virus, oui celui-là même que nous vivons dans l’actualité.
Toutefois, ce festival n’est pas seulement celui de la noirceur du monde. Nous lisons les journaux, les pages web, nous regardons la télévision, où l’on nous parle du présent, seulement de ce présent où l’écume monte et fermente, comme si l’urgence avait partout congédié l’avenir et ses promesses. Le Festival échappe à ce risque et nous invite à conjuguer les verbes au futur malgré les virus et même un peu grâce à eux. La pièce russe de la compagnie KnAM s’appelle Le bonheur. « Comment réconcilier les gens avec le sentiment éphémère, sincère et profond du bonheur ? » » interroge Tatiana Frolova. Enfin, ce festival est vraiment international et multilingue : il fait entendre les langues originales (surtitrées en français) : russe, grec, espagnol et mapuche… La programmation complète des spectacles et des débats et des rencontres est à découvrir sur le site du festival.
Nous nous réjouissons que Patrick Penot et l’équipe du Festival Sens Interdits ainsi que Januario Espinosa et l’équipe d’Espaces Latinos aient choisi, depuis plusieurs années, de nouer un partenariat qui se manifeste, au-delà de la communication, dans la persévérance, la défense de valeurs et certains combats : tolérance, démocratie, laïcité, droits de l’Homme, ouverture aux créations du monde entier, théâtre pour Sens Interdits, littératures et documentaires pour Nouveaux Espaces Latinos.
Maurice NAHORY