À la suite des protestations inédites du mois de juillet contre le régime aux cris de « Liberté ! » et « À bas la dictature ! », une certaine accalmie s’est installée sur l’île. Mais la situation sociale reste critique, et pour aggraver la crise les États-Unis ne sont pas prêts à suspendre le blocus économique. C’est là le point clé de la visite officielle du président Miguel Díaz-Canel au Mexique.
Photo : Asere
D’après des ONG, un mort, des dizaines de blessés et environ sept cents personnes arrêtées, dont plusieurs mineurs, c’est le bilan des manifestations du 11 juillet, les plus importantes depuis l’arrivée du castrisme au pouvoir en 1959. À présent, une « sorte d’accalmie qui succède à tant de crises » (Jean Jaurès) règne dans les villes cubaines. Mais, comme en témoignent Jorge Masetti1 et sa femme, Ileana de la Guardia2, tous deux réfugiés en France : « Le peuple cubain a connu le goût de la liberté. Lorsque la pression retombera, il descendra à nouveau dans la rue. » Dans ce contexte de détente volcanique, Miguel Díaz-Canel s’est rendu le 16 septembre dans la capitale mexicaine pour rencontrer son homologue Andrés Manuel López Obrador (AMLO). Le successeur de Raúl Castro, président du pays depuis 2018, était l’invité d’honneur aux festivités marquant le bicentenaire de l’indépendance du Mexique vis-à-vis de l’Espagne. C’était surtout pour Díaz-Canel l’occasion idéale de rappeler l’impact de l’embargo imposé par Washington sur l’île depuis six décennies.
Ainsi, le président cubain a remercié le gouvernement mexicain pour sa « solidarité » contre « l’assaut d’une guerre multidimensionnelle » avec le renforcement du blocus économique, et une « campagne agressive de haine, de désinformation, de manipulation et de mensonges » sur les réseaux sociaux. Une situation aggravée par la Covid-19, qui a porté un coup de massue au tourisme, principale source de devises avec 3.300 millions de dollars par an. C’est une économie en deuil qui a vu son PIB chuter de 11 % en 2020, les exportations de 40 % et les importations de 30 %. De son côté, M. López Obrador a demandé à Joe Biden de mettre fin au plan de restrictions économiques sur Cuba. « J’espère que le président Biden, qui a suffisamment de sensibilité politique, agira avec la grandeur qui sied et mettre fin pour toujours à la politique de récrimination contre Cuba », a déclaré le président mexicain lors de la cérémonie du défilé militaire le 16 juillet en présence de son homologue cubain. AMLO a également rappelé « respectueusement » à la Maison Blanche qu’« aucun État n’a le droit d’assujettir un autre peuple, un autre pays. »
Six jours plus tard, le 27 juillet, le Mexique expédiait à Cuba un navire – appelé ‘’El Libertador’’ – avec de la nourriture et du matériel médical, notamment des seringues et des réservoirs d’oxygène pour soigner les patients souffrant de la Covid-19. Avec ce geste de solidarité unilatérale, López Obrador a rappelé aux États-unis que son pays est « indépendant, libre et souverain » tout en condamnant la politique du voisin du nord : « une action médiévale, montrant un grand retard en politique étrangère. » Il est allé encore plus loin, en proposant la création d’une nouvelle organisation des États américains (OEA) excluant les États-unis. Dans le même plaidoyer pour le régime cubain, le président de gauche a insisté sur le respect du vote du 23 juin à l’ONU, lors duquel 184 pays ont rejeté le blocus économique contre Cuba. Une résolution votée chaque année depuis 1992 !
Bref, à l’égard des pénuries économiques et sanitaires qui plongent la dictature la plus durable du monde occidental dans une crise sans précédents, « séparer le politique de l’humanitaire » est la proposition lancée par AMLO à Joe Biden. Cependant, ces appels à la fin de l’étranglement économique restent sans souffle au-delà du Rio Bravo. En effet, si avec l’élection du successeur de Donald Trump tout le monde s’attendait à des mesures d’assouplissement et un retour à la politique du dégel prise par Barack Obama, son ex-vice-président et actuel locataire de la Maison Blanche se montre réfractaire dans ce sens : « ce n’est qu’un début, les États-unis continueront de sanctionner les individus responsables de l’oppression du peuple cubain », a-t-il déclaré.
Une stratégie binaire de crime et de châtiment qui a largement montré son inefficacité, même aux États-unis. Ainsi le rappelait, en 2017, le journal The Boston Globe au sujet de la politique du bâton appliqué par Donald Trump : « Trump semble oublier que cinq décennies de politique d’isolement et de sanctions envers Cuba […] n’ont pas davantage contribué à faire pencher la balance pour ce qui est du changement politique. » À suivre.
Eduardo UGOLINI
_____________
1. D’origine argentine, fils d’un révolutionnaire ami du ‘’Che’’, mort au combat.
2. Fille d’un colonel que Castro fit arbitrairement fusiller en 1989.