L’exil forcé de Sergio Ramírez, un auteur trop sulfureux pour le régime du Nicaragua

Après les arrestations de nombreux opposants et candidats à la présidentielle de novembre, le pouvoir de Daniel Ortega au Nicaragua a lancé un mandat d’arrestation contre le célèbre écrivain Sergio Ramírez, désormais contraint à rester loin de son pays.

L’écrivain et journaliste Sergio Ramírez est désormais un fugitif aux yeux du pouvoir de son pays, le Nicaragua. Quel étrange destin que celui de cet auteur de 79 ans qui, réfugié au Costa Rica, est à nouveau un exilé, plus de quarante ans après avoir combattu depuis l’étranger, aux côtés des révolutionnaires sandinistes de l’époque, la dictature de Somoza, déchue en 1979. C’est une autre dictature qui pourchasse aujourd’hui un homme qui, autrefois, rêva de servir un noble projet politique et devint le vice-président de 1985 à 1990 de Daniel Ortega, actuel président qui entend continuer à régner en maître absolu sur le Nicaragua pour un quatrième mandat, en novembre prochain.

Depuis Managua, la capitale nicaraguayenne, la justice a émis le 8 septembre un mandat d’arrestation à l’encontre de Sergio Ramírez, comme elle le fait depuis des mois, sur ordre, contre des dizaines d’opposants, dont plusieurs candidats à l’élection présidentielle de novembre. Une élection qui aura tous les oripeaux d’un scrutin de marionnette, articulé autour de la reconduction sur la scène de son acteur principal Daniel Ortega, aux commandes de façon ininterrompue depuis 2007 et précédemment, déjà président de 1979 à 1990. 

Un avant-goût de la répression

Fort heureusement, Sergio Ramírez a décidé de quitter le Nicaragua en juin dernier, alerté par une première semonce. Il avait alors été convoqué par le parquet pour un interrogatoire sur la Fondation Violetta Barrios de Chamorro, une institution respectée qui oeuvrait pour la liberté de la presse et que la justice accuse de blanchiment. Cette accusation a permis au régime d’écarter la candidate la plus redoutée par Daniel Ortega, la journaliste Cristiana Chamorro, présidente de la Fondation et membre d’une illustre famille du pays. Depuis juin, la candidate est assignée à résidence et par conséquent déchue de ses droits civiques et politiques. Et depuis juin, une trentaine d’opposants ont été arrêtés sous des prétextes divers de complot contre l’État, corruption ou incitation à l’ingérence étrangère. Ces jours-ci, les familles de ces opposants emprisonnés ont dénoncé les mauvais traitements et les pressions psychologiques qu’ils subissent au quotidien.  

Le roman noir qui fait grimacer le pouvoir

“Plus un régime concentre de pouvoir, plus il s’affaiblit, veut croire Sergio Ramírez dans une interview à la version hispanophone de la BBC, BBC Mundo *. “Cela semble paradoxal, mais c’est ainsi.“ Comme d’autres “gêneurs“, Sergio Ramírez, qui a reçu pour son oeuvre en 2017 la plus haute distinction littéraire du monde hispanophone, le Prix Cervantes, est accusé de blanchiment, atteinte à l’intégrité nationale, provocation et conspiration, des charges qu’il balaie d’un geste résigné comme autant de prétextes aussi légers qu’un fétu de paille. 

Comme il le souligne, c’est indéniablement son dernier roman fraîchement paru, Tongolele no sabía bailar (“Tongolele ne savait pas danser“, non-traduit en français), qui a aiguisé la hargne du régime à son endroit. À l’occasion de sa tournée en Espagne pour la promotion de son livre, ces jours-ci, Sergio Ramírez relate avec ironie qu’au Nicaragua, l’ouvrage est bloqué à la douane. Car les péripéties du détective et ancien flic et guérillero Dolores Morales dans Tongolele no sabía bailar, troisième roman d’une trilogie policière de l’auteur commencée en 2008, se déroulent au coeur des événements bien réels du printemps 2018 au Nicaragua, qui ont fait plus de 300 victimes. 

Une chape de plomb sur un pays mutilé

En avril 2018, une révolte contre le pouvoir explose dans les rues, et s’amplifie malgré la répression, les arrestations, les tirs à balles réelles contre les manifestants, ordonnés par Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo, vice-présidente à la main de fer. Une chape de plomb s’étend depuis lors sur un pays profondément mutilé et muselé par la terreur. Même les journalistes les plus opiniâtres, comme le sont les rédacteurs et les illustrateurs reconnus du média indépendant **Confidencial, ont été contraints d’émigrer pour se protéger. 

Dans un passage du livre, un ecclésiastique, monseigneur Ortez, déclare lors d’un sermon : “Il y a deux Nicaragua : celui qui profite de la fameuse croissance, le Nicaragua des bacchanales sans fin, de la minorité égoïste, de la vieille oligarchie qui n’a foi qu’en l’argent, et le Nicaragua de la nouvelle classe fastueuse et arrogante, ces gens qui un jour se sont déclarés révolutionnaires et qui aujourd’hui, ne croient eux aussi qu’en l’argent. C’est l’argent qui réunit ces deux Nicaragua, c’est pourquoi ils pactisent.“ 

Si vous demandez à Sergio Ramírez, comme le fait la presse hispanophone, s’il ressent de l’amertume à avoir été un jour un proche de Daniel Ortega avant de rompre avec le régime en 1994, il vous répondra que non, que cette époque est révolue, digérée. En revanche, confie-t-il, jamais il n’eût imaginé qu’après la chute du dictateur Somoza, un autre dictateur allait lui succéder. Peut-être n’imaginait-il pas davantage qu’à près de 80 ans, il lui faudrait encore emporter son ordinateur loin de chez lui pour écrire.

Sabine GRANDADAM

*https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-58510922

** https://www.confidencial.com.ni/