Dans la poésie de Edicto Garay, on voit les mains de l’homme, c’est une poésie avec des empreintes digitales, une poésie comme une cruche en glaise, pour qu’en elle chante l’eau, une poésie qui réclame du pain pour tous, ce pain quotidien qui se mange avec tendresse lorsqu’il est partagé. Le livre est illustré par l’artiste chilienne, résidant à Lyon, Betty Boixader.
Ce recueil de poésie est composé d’une sélection de 25 poèmes écrits par Edicto Garay entre 1974 et 2020, en édition bilingue espagnol-français (traductions en français de Véronique Brunet). Ce beau livre (éditions BoD-Books on Demand), est enrichi des dessins de l’artiste lyonnaise d’origine chilienne Betty Boixader et des photographies de Jean-François Noël. Il s’ouvre par une émouvante préface d’Oscar Castro dramaturge, comédien et metteur en scène d’origine chilienne, directeur du théâtre Aleph créé pendant son exil à Paris. Oscar Castro est décédé le 25 avril de cette année emporté par le Covid-19 au Chili où il était rentré. Résistant à la dictature de Pinochet, il connut Edicto Garay dans les camps de concentration de l’île Dawson à l’extrême sud du Chili. Il fut une grande figure du théâtre populaire à Ivry-sur-Seine.
Politique et poésie
Edicto Garay est né en le 16 février 1940 au Chili, sur la Grande Ile de Chiloé. « Edicto naît à Chiloé sur la Grande Île, un des lieux les plus mystérieux de ma terre. En ce lieu il communique avec Ten-Ten Vilu, la déesse de la terre, il en tombe amoureux et lui jure amour éternel (…) », écrit Oscar Castro. Dans sa jeunesse, il émigre dans la région de Magellan territoire traditionnel d’émigration et terre des extrêmes où le souffle du vent incite à l’écriture et à la poésie et où le grand Francisco Coloane écrit son œuvre. Edicto Garay exerce dans cette région de Patagonie de multiples professions et activités principalement dans la production animale ; c’est là que s’éveille sa conscience politique et sa décision d’assumer des engagements pour une société plus juste. Il devient militant du Parti communiste chilien, soutient la campagne pour l’élection du socialiste Salvador Allende et s’engage dans le processus politique des mille jours de l’Unité populaire pour changer la société.
Ses rêves seront brisés brutalement le 11 septembre 1973 lors de la chute dramatique du gouvernement socialiste et la mort de Salvador Allende à la suite du coup d’Etat militaire dirigé par le général Augusto Pinochet. Membre du Parti communiste, dirigeant syndical à Punta Arenas, dans le sud du pays, il sait qu’il sera bientôt la cible des militaires. Il entre dans la clandestinité le jour même. Inquiet pour sa famille, il refait surface un mois plus tard et est aussitôt arrêté. Il se souvient d’avoir été déshabillé, frappé à coup de crosse de fusil et mordu par des chiens policiers jusqu’à ressembler à « une masse de bleus méconnaissable ». Il est amené dans le tristement célèbre camp de concentration de l’île Dawson. « C’était un lieu inhumain mais je me suis accroché à la vie. Mes codétenus se soutenaient les uns les autres et un esprit de survie s’est développé. Nous l’avons appelé ‘l’esprit de Dawson’. Notre but était de rester en vie », raconte Edicto Garay lors d’une entrevue à France 24. C’est dans le camp de concentration qu’il commence à écrire de la poésie et qu’il rencontre Oscar Castro. Ses vers sont une forme de résistance. Sous la pression internationale et afin d’améliorer son image, le régime d’Augusto Pinochet commue les peines de prison de certains détenus politiques par l’extradition les autorisant à quitter le Chili. Edicto Garay arrive ainsi en France en 1976, dans le centre d’hébergement des réfugiés à Pierre Valdo, à Lyon. Il vécut dix ans à Lyon pour ensuite planter ses racines en région parisienne.
Une poésie de la résistance
La poésie d’Edicto Garay nous parle de résistance, d’enfermement mais aussi de solidarité entre les détenus, de l’exil, de l’amour, des femmes qu’il a aimées et d’amitié. L’exil, il l’a vécu comme une énorme déchirure « Nous étions comme des plantes déracinées dans un pays et placées dans un autre. Nous ne nous savions pas si les plantes allaient refleurir, ou même survivre », se souvient-il. Il trouvera un emploi de métallurgiste qui lui permettra de faire venir sa famille en France. « Nous avons toujours pensé que notre séjour serait de courte durée, mais nos enfants ont grandi ici et nous sommes restés », raconte-t-il comme tant d’autres réfugiés. Le sujet de ce livre aborde également les pierres de basalte gravées par Edicto Garay en 1974 pendant son internement au camp de concentration de l’Ile Dawson. Ces pierres, destinées à ses enfants et à son épouse représentent un acte de résistance dans un lieu de négation de l’humanité. Miraculeusement préservées, les pierres sont présentées par des photographies de Jean-François Noël.
Le poète Garay nous dit que tous ces poèmes ont quelque chose d’autobiographique : « Mes premier petits vers, ceux gravés sur la peau de mes pierres noires, symboles de résistance, émergent des tripes et du cœur lors de mon expérience dans les geôles de la dictature. (…) Mon langage est toujours direct, vrai et même dur parfois. Je ne cache ni n’invente rien derrière les mots, je parle de ce que j’ai vécu, de ce que j‘ai vu et de ce que je vois, de ce que je connais (…) de ce qui est profondément humain (…) » déclare Edicto Garay dans « Mes petits vers testimoniaux ».
Olga BARRY
« De sombras y de luz » par Edicto Garay, traduit de l’espagnol (Chili) par Véronique Brunet aux éditions BoD-Books on Demand. Dessin de Betty Boixader et photos de Jean-François Noël. 230 p. 15 euros.