Depuis un peu plus d’une semaine, les principaux opposants de Daniel Ortega aux élections présidentielles de 2021 sont arrêtés par la police nicaraguayenne. Après des émeutes en 2018 qui ont fortement fragilisé son leadership dans le pays, la répression politique semble être la seule arme à disposition de l’actuel président du Nicaragua pour pouvoir asseoir son autorité.
Photo : New York Times
Dora María Tellez, Ana Vijil, Cristiana Chamorro, Arturo Cruz, Félix Maradiaga, Juan Sebastián Chamorro, José Adán Aguerri, Hugo Torres, Suyen Barahona, Tamara Davila, Violeta Granera et José Pallais. Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais en l’espace d’une semaine, ces opposants au régime sandiniste se sont retrouvés derrière les barreaux au Nicaragua. Au-delà de leurs parcours et idéologies multiples, ils ont tous comme dénominateur commun d’être les opposants politiques du président actuel, Daniel Ortega.
Depuis plus de 40 ans, Daniel Ortega fait la pluie et le beau temps sur la vie politique du petit pays d’Amérique centrale. Arrivé au pouvoir en 1985, après avoir défait le régime dictatorial d’Anastasio Somoza, Ortega suit la trajectoire de la Cuba castriste et fait du Nicaragua une référence pour le communisme dans une Amérique latine en fin de Guerre froide. Dans les années 90, il se retrouve dans l’opposition après une défaite aux élections, mais reste présent dans les arcanes du pouvoir en s’alliant avec d’anciens opposants. En 2007, il fait son grand retour et est de nouveau élu président, surfant sur la rhétorique mise en place dans le continent par Hugo Chavez. Depuis lors, il en est à son troisième mandat à la tête du Nicaragua. Et entend bien en briguer un quatrième.
Les prochaines élections auront lieu en novembre prochain. Et depuis maintenant quelques jours, ses principaux opposants sont arrêtés sous couvert de vouloir déstabiliser le pays en réalisant des « actes qui mettraient en danger l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination du Nicaragua et inciteraient l’ingérence étrangère dans les affaires internes du pays ». Ces accusations découlent d’une loi de décembre 2020, la « Loi de défense des droits du peuple a l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination », qui condamne à l’emprisonnement les personnes faisant l’apologie de l’intervention étrangère.
Cette peur de l’intervention étrangère prend en grande partie racine des relations historiques tendues avec les États-Unis. Membre de l’Alliance bolivarienne, ALBA, grâce à laquelle le pays entretient des liens d’amitié forts avec le Venezuela, et traditionnellement pays non-aligné, le Nicaragua est depuis des décennies dans le viseur des États-Unis. Le porte-parole du département d’État Ned Price a aussitôt condamné ces arrestations multiples qualifiant Ortega de « paria international ». Après la tournée de la vice-présidente étasunienne Kamala Harris au Guatemala et au Mexique, la reprise des flots migratoires en provenance des pays d’Amérique centrale vers la frontière sud des États-Unis, et les différentes joutes verbales avec d’autres dirigeants de la région, tels que Nayib Bukele au Salvador et Juan Orlando Hernández au Honduras, on peut constater que le positionnement américain en Amérique centrale est de plus en plus délicat.
Des arrestations aux profils variés
Pour l’instant, deux partis politiques ont déjà été écartés des prochaines élections (le parti évangélique PRD et le Parti conservateur) et quatre potentiels candidats à l’élection présidentielle ont été arrêtés : Cristiana Chamorro (journaliste et candidate autoproclamée), Arturo Cruz (ex-diplomate du parti de droite CXL), Félix Maradiaga (de l’UNAB, plateforme citoyenne responsable des manifestations de 2018) et Juan Sebastián Chamorro (parti de Alianza Ciudadana). Ce dernier postera quelques minutes avant sa détention une vidéo au titre hallucinant « Si vous regardez ceci, c’est que j’ai été capturé ».
Mais l’arrestation la plus médiatique reste sûrement celle de l’ancienne révolutionnaire sandiniste Dora María Tellez, héroïne de la révolution nicaraguayenne. Alors qu’elle combat aux côtés d’Ortega à la fin des années 70 et est même devenue ministre de la Santé à la chute de la dictature de Somoza, elle est devenue l’une des principales voix critiques aux dérives autoritaires de l’actuel président. Tellez est toujours considérée comme l’une des intellectuelles les plus importantes de la région. Quelques heures après son arrestation, elle twitte depuis sa cellule : « Éliminer toute candidature, toute opposition, est l’objectif d’une dictature à l’agonie. C’est pourquoi elle a recours à la répression massive. Rien n’a fonctionné pour elle et rien ne fonctionnera ». Dora María Tellez obtiendra la réponse à son tweet le 7 novembre prochain, s’il reste à ce moment-là encore un opposant politique crédible en liberté pour contrer les ambitions présidentielles d’Ortega lors des élections. Mais rien n’est moins sûr.
Romain DROOG