Brésil, 1971. En pleine dictature militaire, le jeune César Benjamin, 17 ans, est arrêté et emprisonné lors d’une manifestation étudiante. Prisonnier politique, il va connaître l’enfer de l’isolement et de la torture et subir de plein fouet la violence de la répression du régime brésilien. Sa mère, Iramaya va lutter pour sa libération et à l’aide de la mobilisation de la branche suédoise d’Amnesty International, parviendra à le faire libérer. Après l’exil, César revient au Brésil en 1979. Un traumatisme ancré que sa fille veut déchiffrer. Carol Benjamin signe avec Je te dois une lettre sur le Brésil, son premier documentaire en tant que réalisatrice. Elle aborde ici sa propre histoire familiale, celle de son père et du combat de sa grand-mère, un documentaire sous forme de plongée dans un drame familial, reflet de celui d’un pays entier ; le Brésil. Cette lettre documentaire est une enquête car Carol Benjamin est confrontée, depuis son enfance, au refus de son père de parler de ces années de prison, un traumatisme vif dont les mots peinent sans doute à exprimer les douleurs du passé. Depuis Stockholm, où son père a obtenu l’asile politique à sa sortie de prison, elle tente de rassembler les souvenirs. Elle narre ainsi son histoire, qu’elle met en image par l’intermédiaire de témoignages, de lettres, de bribes du passé, d’images d’archives et de photos.
Des trois générations que traverse ce documentaire, l’image d’Iramaya Benjamin, semble un fil rouge, le lien entre ces générations, l’image d’une femme que le rôle de mère mènera au combat. De l’emprisonnement de César Benjamin va naître son engagement tout entier, résonance des mères de la place de mai en Argentine, qui illustre la résistance contre la dictature militaire au Brésil. Le combat de mãe coragem – mère courage -, qui deviendra celui d’une vie, un combat contre les exactions de la dictature et contre le crime de haine qu’est la torture. Appelant l’aide de l’organisation Amnesty International elle participa à faire résonner la situation de son fils mais surtout la situation d’un pays entier sous le joug de l’armée, continuant sans relâche à dénoncer les tentatives de taire les crimes d’un régime. Hommage à une femme qui impulsa un cri de révolte, qui refusa la compromission et participa à transmettre le message de la lutte aux générations suivantes.
De la fin de la dictature militaire en 1985 flotte un parfum de passage sous silence, une période de vingt ans dont la violence et les réalités ne sont pas tout à fait assumées. Si la réalisatrice Carol Benjamin tire une fierté à être issue d’une famille d’opposants à la répression, elle remarque que peu à peu les souvenirs de la dictature s’éloignent, que l’on passe d’un discours unanime, rejetant cette période autoritaire, à une influence grandissante de paroles nouvelles qui « soutiennent l’idée romancée qu’il faut le retour de la dictature pour restaurer l’ordre et reprendre le progrès ». Dans ce contexte, il est important alors de garder une trace de ce que fut le passé, et dans un Brésil qui peine à se remettre de son histoire, la reconnaissance des crimes de la dictature a été un long et lent combat. La création de la Commission nationale de la vérité en 2011 donnera à Cesar Benjamin l’occasion de s’exprimer publiquement, citant les mots du poète portugais Fernando Pessoa : « Je ne suis qu’un survivant à moi-même, une allumette refroidie », pour tenter d’évoquer ce que fut le sentiment de sa détention. Cette parole, qui maintient vif le souvenir, peine à être entendue, et Je te dois une lettre sur le Brésil entend à sa manière se faire l’écho du passé, lutter contre « la persistance du silence comme outil d’effacement de la mémoire », se faire le passage de témoin entre hier et aujourd’hui.
Antoine BERGER